Affaire Grach -Meutre à Labruguière le 30 juillet 1797

Par Jean Escande

 

 

 

[Cet article n’a pas été terminé ; il est formé, à la suite d’un début d’étude abouti sur le procès des assassins des Grach, à Gaillac, de notes manuscrites éparses, que nous avons données telles quelles. D’autre part, pour compléter la connaissance de cette passionnante affaire, il faut se reporter à l’article de Jean Escande : « Le chamoiseur et le général » (voir notre site). Elle y est largement décrite et expliquée].

 

 

 

Labruguière en 1750.

 

 

 

Plan de Labruguière (Tarn) dressé par J. Solé d’après celui de 1750, et communiqué par Didier Rivals.

 


Ayant passé le Thoré sur le pont, la colonne royaliste castraise laisse à sa gauche le Plo-de-Robert (emplacement actuel du Monument aux Morts de la guerre 1914-1918), remonte le boulevard planté d’arbres qu’on appelle alors le quai en longeant le fossé qui entoure encore sous la Révolution la vieille ville, et arrive à la Porte du Barry : c’est actuellement l’entrée de la grand-rue. De l’autre côté de la place du Pylône c’est, en 1797, le Barry : le faubourg. Là sont les deux auberges de la Bonnette et de Roques. Après s’y être désaltérés, les chouans de Villegoudou prennent le chemin de la Tuilerie (actuelle rue de la Tuilerie) pour se rendre à la ferme de La Tour puis au domaine d’En-Laure, tous deux sur la route d’Escoussens.

 

Je regardais il y a quelques années chez M. Gérard Heuillet, l’ancien maire de Soual, un ouvrage qu’il avait fait relier : « La Ganse Blanche ». Ce n’est que le recueil des pièces du procès, énorme, qui expédia à Gaillac 132 personnes, en général de très jeunes gens, prévenus d’avoir massacré, dans leur beau domaine d’En-Laure, un des frères Grach et sa femme. Ces Grach ne sont pas des royalistes à tout crin comme l’illettré Jeanou Combes, mais des protestants républicains.

- Néanmoins, ils ont un point commun, me dit M. Heuillet : c’étaient, eux aussi, des accapareurs... Ils sont tombés pour une histoire de marché noir.

Ceux que l’Histoire Officielle a depuis, flétris sous les noms ridicules de « muscadins », « Collets Noirs », « Jeunesse dorée », « antirévolutionnaires » et autres « ganses blanches » ; ce ne sont rien d’autre que des gens du petit peuple qui crèvent de faim.

M. Gérard Heuillet m’expliqua que c’était lui qui avait prêté ce procès à un érudit mazamétain, Gaston T., qui en tira un livre où on ne dit pas du tout cela : on y met le meurtre sous la rubrique « fanatisme religieux », propre seulement aux vilains catholiques, comme on sait.

Dans le calme rétabli des années 1820, on verra à Escoussens, par exemple (mais il a existé à des milliers d’exemplaires), la fille de Pierre-Joseph Lades, acquéreur de Biens Nationaux des Chartreux, bon républicain, fonctionnaire militaire, et protestant, épouser un notaire, neveu de l’ultra-royaliste et chouan local Lisou Azaïs : les opinions, les religions, sont comme la pochette au revers du veston (ou la cocarde au chapeau) – une simple coquetterie. Le vrai, le solide et au fond le seul principal, c’est d’avoir un peu de monnaie.

 

Jacques Fournès, dit Sans Peur, tailleur d’habits, 50 ans, habite au Plo-de-Robert à Labruguière : vers les 10 h. du soir, ce 12 Thermidor, il voit passer sur le pont une colonne de gens armés, à la tête de laquelle est un citoyen à cheval. ’’Cette colonne fit halte devant la maison de la Bonnette ; curieux de voir ce que c'était, je fus dans mon jardin avec mon frère pour mieux entendre ce qui se passait. Une voix que je ne connus pas cria :

- Aux armes, camarades !

Ensuite j’entendis beaucoup du train au fauxbourg et frapper de rudes coups. ’’Vraisemblablement, dis-je à mon frère, on coupe l’arbre de la Liberté". Ce n'est que le lendemain seulement que je sus que les coups essayaient d'enfoncer la porte de Gasignol."

 

Le boulanger Pierre Guibaud, lui, se promène sur le quai, c'est-à-dire sur le bord du fossé qui renferme encore Labruguière : il voit un grand rassemblement devant l’auberge de la Bonnette, composé d'étrangers armés de fusils, baïonnettes, sabres et pistolets. Il entend dire qu'ils vont se porter chez Gasignol, son neveu. Vite il s'y rend :

- Il faut vite que tu sortes avec moi.

Gasignol sort, et Auret le fait entrer chez lui. Toute la bande heurte aux deux portes de Gasignol et enfonce celle de la boutique, que Guibaud pousse par derrière. Voyant l’inutilité de ses efforts, il se réfugie dans la cuisine avec sa sœur. Ces étrangers entrent, font toute sorte de perquisitions, puis se retirent. Guibaud, étant près de l'arbre de la Liberté, entend quelqu'un venant de Castres, qui dit que la gendarmerie arrive.

- Il faut nous en aller par Auterive, dit la troupe, mais elle prend le chemin de la Tuilerie, (la rue de la Tuilerie actuelle).

L'arbre de la Liberté est donc à l'emplacement du Pylône. Pendant ce temps Jacques Cros, travailleur de terre, 35 ans, vient de boire une bouteille avec quelques amis, dont un est de Saint-Alby, près de Mazamet. Comme il veut rentrer chez lui, Cros l’accompagne jusqu'au cimetière (le vieux cimetière, actuellement en pleine ville). En passant près de l'arbre de la Liberté, Cros voit Guibert fils en faction, armé d’un fusil. Au retour du cimetière, étant avec Jean Lagarde, tisserand, 33 ans, ils voient un grand rassemblement devant l'auberge de la Bonnette. Deux hommes de la troupe, le serrurier Verdier et le pareur Lagasse, de Castres, viennent toucher la main à Lagarde en disant :

- Où est cette auberge où il y a une troupe de coquins ?

- Il n'y a que celle de la Bonnette, et de Roques.

- Quelle heure est-il ? demande Verdier.

- Il vient de sonner neuf heures et demie, dit Cros.

- Nous avons bien marché, puisque nous sommes partis de Castres à huit heures.

Cros et Lagarde entrent en ville (par la porte entre le photographe Salles et le coiffeur). Trois Castrais sont en sentinelle, l'un porte un fusil et les deux autres un sabre nu. Lorsque Cros arrive sur la place (de l'église) il rencontre Jean Gau qui lui dit :

- Il faut voir si Gasignol est chez lui.

- Ils y vont et le trouvent qui allait se coucher.

- Nous venions voir si tu étais retiré, si tu craignais quelque chose tu viendrais coucher chez un de nous.

- Non, je ne crains rien, et je vais me coucher.

 

Antoine Escande, 25 ans, pareur à la journée, qui lui aussi habite le Plo-de-Robert, a reconnu dans la foule le citoyen Gaïx aîné, et le serrurier Verdier, de Castres, en sentinelle portant un fusil. A quatre pas un autre fait également la sentinelle, avec un fusil et un sabre.

 

L’Auberge Bonnet.

 

Entre neuf et dix heures du soir arrivent plus de soixante personnes chez Rose Paille, 50 ans, qui vit avec sa sœur Anne, veuve Bonnet, et sa nièce Albine Bonnet, 19 ans. Ils demandent du vin et de l'eau, que les femmes leur donnent, et d'ailleurs ils paient.

- La cuisine, la chambre où je couche et l'écurie en étaient pleines, dit Anne Bonnet, et il devait y en avoir encore dehors.

Albine est plus explicite :

- Ils étaient plus de cent citoyens, dont je ne connus pas un, armés de sabres, baïonnettes, fusils et pistolets, dont quelques-uns étaient à cheval bien harnachés, portant de grandes sabraques (couvertures de cheval). Ils demandèrent du vin et de l'eau ; et après avoir bu et payé ils sortirent et furent du côté du Plan-de-Robert. J’en vis passer ensuite trois ou quatre dont un cria:

- Que huit hommes de la garde viennent !

Cette troupe alla du côté de la maison de Gasignol, s'amusant avec des pistolets et des sabres, disant :

- Il faut aller chez Roques où il y a une troupe de patriotes, c'est une auberge, il faut y aller demander du vin.

Pendant ce temps Marguerite Escande, 28 ans, femme de François Gasignol, le boulanger, entend la foule qui essaie d'enfoncer la porte de sa boutique.

- Si vous voulez entrer, venez, passez par la porte, leur dit-elle.

Sa belle-mère, Marie Guibaud, veuve Gasignol, 54 ans, ouvre, et une foule innombrable entre en disant qu'ils veulent tuer Gasignol, qui est un foutu coquin, et qu'à Labruguière il n'y a que de la canaille. Cette troupe armée fouille partout, ne trouve pas le boulanger, et se retire.

Jeanne Gasignol, 18 ans, les a entendus dire :

- On veut le tuer, le plus gros morceau sera comme un écu de six francs.

            Marc Caminade entend :

- Il faut le tuer, il faut le pendre au mai !

Ils donnent des coups de baïonnettes dans les lits, et se font ouvrir les armoires.           

Les voisins Louis Roques et François Peyre, 22 ans, dit Laflamme, maréchal-ferrant, voient le tumulte, l'un de son grenier, l'autre de sa fenêtre. "Ces individus faisaient étinceler des sabres sur le pavé".

Le boulanger, 29 ans, est à l'auberge de Roques, en train de boire une bouteille avec quelques amis. Antoine Claverie vient leur dire de se retirer chacun chez soi ; ce qu'ils font. Arrivé chez lui, Gasignol se dispose à aller au lit, lorsque son oncle Pierre Guibaud et Guillaume Couzinier, dit Penchenat, lui disent qu'il faut sortir avec eux par la porte de la boutique.

Il voit là François Auret et Prades, conseilleurs municipaux et adjoints au maire de Labruguière, qui parlementent avec deux étrangers armés de sabres. L'un d'eux crie :

- Le voici ! Le voici ! Va chercher les autres !

- Non, ce n'est pas lui, dit Auret, en repoussant du coude ceux qui s'approchent. En même temps il fait entrer Gasignol dans sa maison, et Marie Auret ferme la porte sur lui. Marguerite Roques, sa sœur, dit au fuyard :

- Vous seriez exposé si vous restiez ici, au cas où on vint à enfoncer notre porte, puisque déjà on heurte, il faut vous sauver ailleurs.

Elle le conduit au grenier et le fait passer par une fenêtre sur le toit, puis elle redescend pour porter secours à la boulangère et à la mère de Gasignol.

(Le lendemain matin, revenu chez lui, Gasignol trouve la porte de sa boutique enfoncée ; sa famille lui dit qu’on a fait la recherche la plus exacte pour le trouver le tuer : il l’a échappé belle).

 

L'Hélène (Hélène Homp, veuve de Jacques Fabre, 50 ans) effrayée, dit à sa fille : "Il faut se retirer". Elle se lève ; mais sa fille "n'ose point se remuer de place", parce qu'une multitude infinie de citoyens étrangers, armés de sabres nus à la main sont là au même instant. Deux d'entre eux demandent de l'eau pour boire, qu'Hélène leur donne ; tous prennent le chemin du pont de Lignon et disparaissent. Quant à Hiacinthe Dalens, 31 ans, femme de Jean Formes, elle aussi habitante du faubourg (les maisons en face de la porte de Labruguière : ce qui est pour nous l'ancienne Poste, la rue de la Tuilerie, la route de Laprade...) elle montre plus de curiosité : "Etant à prendre le frais, j'entendis un grand tumulte sur le quai" (le boulevard, actuellement, était à l'époque le fossé qui entourait la vieille ville de Labruguière) "voulant voir ce que c'était, je m'approchais jusqu'à la maison de Jean-Baptiste ; là un citoyen que je n'ai pas connu m'a porté un sabre nu sur le ventre en me disant : "Retirez vous". A mon fils, qui était aussi allé voir, un autre lui fit tourner le chapeau, et lui dit : "Où as-tu la ganse blanche ?" - "Je n'en ai pas". Ces cent hommes et plus prirent le chemin du pont de Lignon..."

 

10 heures et demie. Jacques Bonnafous, dit Bouillazou, 37 ans, métayer à la métairie de Lateret, est seul : il n’ouvre pas à la troupe, parmi laquelle il voit trois femmes, ou trois hommes habillés en femmes. Ces gens heurtent à sa porte, puis à celle du ci-devant château. Bouillazou grimpe en vitesse à une fenêtre pour voir le chemin qu'ils prennent : ils vont vers En Laure...

 

Vers 10 h. du soir, Bernard Calme, tailleur d'habits, 20 ans, entend beaucoup du train (au lieu de "de train", on dit pareillement en occitan : "j'ai entendu beaucoup du bruit") du côté du faubourg de Labruguière. Il se lève et réveille ses parents, Jean Calme, tailleur lui aussi, 48 ans, et Elizabeth Marliannes, 43 ans. Tous trois voient plusieurs inconnus entrer dans la maison de la veuve Fabre, qu'on appelle Hélène. Ils frappent aussi à grands coups chez Gasignol. Croyant que ces gens entreront dans toutes les maisons, et craignant un assassinat, les Calme et leur voisin, Pierre Barthe, tuilier, 60 ans, s'enfuient jusqu'au pont de Lignon. Dans la nuit noire ils entendent plusieurs personnes derrière eux, qui parlent beaucoup, mais ils ne peuvent distinguer ce qu'elles disent. Le petit groupe apeuré décide d'aller au hameau des Auriols ; mais arrivé en face de la métairie d'En-Laure, ils se disent :

- Entrons ici, nous serons tranquilles.

Grach, qui était dans son lit, se lève et leur demande ce qu'ils ont.

- Nous avons eu peur d'être assassinés à Labruguière ; nous sommes venus chercher un asile.

- Si ce sont des gens de Castres, je parierai qu'ils viendront ici, dit Grach.

En effet, tandis qu'ils parlementent, on entend heurter aux portes et aux fenêtres, et une voix crie :

6 Métayère, ouvrez, nous ne vous ferons rien si Grach n'y est pas...

            D’autres tâchent d’enfoncer les contrevents en passant la baïonnette à travers. Jean Calme, craignant d’être égorgé dans la métairie, entrouvre le portail pour fuir, mais voyant une multitude armée de sabres et de fusils, il le referme.

Grach et son frère Grach-Pujol montent à cheval, chacun portant sa femme en croupe, et sortent au galop de la métairie. Mais à peine dehors sept ou huit coups de pistolet ou de fusils éclatent, et une femme des Grach pousse un grand cri. Quelqu'un crie :

- Courage ! En avant, camarades !

Les Calme et Barthe, morts de peur, se cachent avec les métayers dans le fenil, d’où ils ne sortent que deux heures après. Puis ils passent par une fenêtre et vont se cacher dans les champs jusqu’au jour, où ils retournent à  Labruguière.                                                             

Le lendemain, ayant entendu dire que Grach et sa femme avaient été assassinés, Jean Calme revient à En Laure. Grach-Pujol percé de coups, est effectivement étendu mort dans une rigole, et sa femme mourante dans un lit...

 

Le 13 Thermidor, s’étant levé de grand matin pour aller faucher un pré à Treyare (erreur certaine pour Trégas) Jacques Cros, ce travailleur de terre qu'on a vu la veille, trouve près de la Tuilerie un fourreau d'épée nommé Carrelet, qu'il ramasse, la Tuilerie dont il est question est la grande maison entourée d'arbres et de murs en face de ce qui est de nos jours le passage à niveau, sur la route d'Escoussens. Arrivé un peu plus loin, Cros rencontre le père et le fils Calme, à qui il demande : "D'où venez vous ?" certainement très étonné de les rencontrer à cette heure matinale, et revenant de la campagne. Encore troublés, ceux ci répondent : "De par là", en montrant la route vers En-Laure. Ils ajoutent qu'il y aura du sang quelque part, et qu'on entendra dire quelque chose de sinistre ce matin. Cros continue sa route et voit un emplacement dans un champ dont la terre est très foulée par des souliers et des escarpins, comme si une troupe y avait dansé ; il entend dire ensuite (preuve qu’il n'est pas seul sur le lieu) que Grach-Pujol et sa femme ont été assassinés.

 

Le 16 Thermidor, vers 6 ou 7 heures du soir, Verdier, le serrurier de Castres, vient demander à Jean Lagarde :

- Comment, tu dis que j'étais ici dimanche soir ?

- Oui, je l'ai dit, parce que je te vis et que je te touchai la main, avec Jacques Cros dit Jean Pichou (Jean le petit).

Geneviève Imbert, veuve d'Antoine Lagarde, 60 ans, rapporte ces propos de son fils. Cependant, au même moment, Antoine Escande voit lui aussi Verdier près de la maison de Jean Lagarde. Il en profite pour lui dire ce qu'il pense de ses agissements.

- C'est bien joli de venir nous assassiner ici, lui dit-il.

- Nous sommes venus par ordre de la municipalité, dit Verdier.

"Je lui répétais qu'il ne convenait pas qu'ils vinssent assassiner les patriotes dans leur maison ; il m'a répondu qu'ils n'avaient rien fait sans ordre, et que lorsqu'ils furent chez Gasignol, ils avaient la municipalité de Labruguière à leur tête. "

- Vous vous flattez, dit Antoine Escande, de vouloir nous mettre à la raison.

- Oui, nous vous y foutrons."

(Cette déclaration pleine de jactance d’Antoine Escande, quatre jours après le meurtre, envers un des meurtriers possibles, a tout l'air d'être le fruit de son imagination).

 

Le 24 Fructidor (10 Septembre 1797) à nuit close, Jeanne Marie Barthés, née Bonnet, veuve de 60 ans, ouvre à Gaïx aîné et Hillaire Mazas, armés de sabres.

- Où avez-vous votre fils ? N’avez-vous pas de lumière ?

- Mon fils n'y est pas, et je n'ai pas de lumière, mais je vais en chercher.

- Ce n'est pas la peine, puisque votre fils n'est pas là, mais j'aurais voulu le saluer, dit Gaïx.

- Il ne mérite pas votre salut, dit la vieille femme.

- Dites lui, lorsqu'il viendra, qu'il vienne me trouver demain matin.

Le lendemain matin, vers 7 heures, une bande armée arrive chez elle ; "Je ne reconnus, à cause de la faiblesse de ma vue, que le citoyen Pezet, cordonnier, parce que ce fut lui qui porta toujours la parole. Il me demanda où était mon fils."

- Il est sorti par la porte du fossé.

Pezet sortit par cette porte et en revenant dit qu'il venait de le chercher dans toutes les broussailles du fossé, et que s'il l'avait trouvé, il l'aurait tué. "Ensuite il me fit monter dans le haut de la maison et laissa ses camarades dans le bas ; il visita tous les coins et recoins et donna plusieurs coups de sabre au lit qui est dans la chambre, puis étant monté dessus, il enfonça plusieurs fois son sabre dans la ruelle, en croyant que mon fils s'y cachait. Ensuite il me demanda de lui remettre son sabre.

- Il n'en a pas, il an a eu un, mais on le lui avait prêté.

Il me demanda encore à plusieurs reprises, où était mon fils, et que s'il ne le trouvait pas, il allait lui mettre la maison sans dessus dessous. Je lui dis de faire tout ce qu'il voudrait, mais que pour mon fils, je ne le savais pas. Quand ils ont tous été partis, je me rendis à la maison commune pour porter ma plainte au citoyen Auret, agent municipal. Je lui rapportai ce qui s'était passé dans ma maison, et lui demandai de quel ordre on venait désarmer mon fils et vouloir le tuer. Il me répondit, écumant de rage :

- Votre fils est un mauvais sujet, il le mérite, il n'avait quoi faire d'aller hier à Saint-Affrique.

- Comment ! Nous travaillons pour le citoyen Rahoux, et il ne sera pas permis à mon fils d'aller chercher le paiement de son ouvrage ?

- Ce sont des feintes et des ruses, votre fils est un mauvais sujet, et je vous dis qu'il le mérite.

Ce raisonnement m'indigna si fort que je me retirai sans oser dire le mot..."

 

Labruguière.

 

Le 25 Fructidor an 5 (11 Septembre 1797) Jacques Verdier, tisserand, 47 ans, vers 6 heures et demie du matin, entend battre la générale dans la ville. Une troupe armée arrive devant chez lui ; le cordonnier Pezet bat le tambour. Verdier ferme les portes et les fenêtres de sa maison, mais Pezet enfonce une fenêtre et 4 émeutiers entrent, du coup Verdier ouvre sa porte.

- Pourquoi est-ce que tu as été hier à Saint-Affrique ? lui demande Hillaire Mazas. Tu n'y avais point des affaires, et ça ne regardait point ceux qui n'avaient point acheté des biens nationaux ? Tu le payeras !

Pezet donne à Verdier deux coups de poing sur la poitrine et lui demande de remettre ses armes.

- Je n'en ai pas.

On furète dans toute la maison pour voir si l'on en trouvera. Verdier dit :

- Il ya un sabre appartenant à Jean Escande, mon garçon.

- Où est-il ?

- Il n'est pas là.

François Mazade et Antoine Pavot vont le chercher, et sur les menaces mille fois répétées "qu'il le payerai", Escande leur donne un sabre dont la poignée ne tient pas avec la lame.

Le rassemblement s'en va au son du tambour

- Il faut aller chez Jacques Cabrol, dit Tarcas, qui a un fusil, et le lui prendre !

Rose Benajean, la femme de Jacques Verdier, 27 ans, n'a rien vu : "épouvantée par les menaces des citoyens décorés des ganses blanches, elle ne couchait pas chez elle depuis plus d'un mois".

 

[Notes éparses] :

 

Ce que la Ganse Blanche reproche aux Grach est à retenir : ce sont des pilleurs d’églises. Le terme d’ailleurs est courant contre la gauche castraise.

 

« Les ¾ des citoyens de cette cité ont porté longtemps une ganse blanche à leur chapeau » (déposition de Joseph Baric, secrétaire du commissaire des guerres, 20 ans).

« J’ai vu dans le temps la moitié des citoyens de cette ville porter la ganse blanche croisée » (déposition du général Jean-Jacques Caillet, 56 ans).

« Cette ganse blanche était très commune dans cette cité, surtout le dimanche » (Simon Dejean).

« Pendant quelque temps l’usage des ganses blanches dans cette cité était très commun » (Jean-Pierre Milhau, chamoiseur, 27 ans).

 

Le fils de Louison, Marie Amans Gressard dénonce beaucoup de personnes mais le tribunal ne lui en sait aucun gré et même se moque de lui (p. 161, n°2).

 

Poulou Lacroix : page 60, n° 2) pages 57,58.

 

Jean Mazières, ingénieur des Ponts et Chaussées déclare « qu’il a vu pendant quelques temps un nombre de citoyens, qu’il croit pouvoir se porter à 7 ou 800, successivement portant la ganse blanche les unes croisées, les autres perpendiculaires ; que malgré le grand nombre il ne saurait désigner les personnes, n’ayant pas fixé là-dessus son attention, préoccupé d’autres objets de son état » (p.149 n° 2).

 

Etienne Azaïs, marchand de grains (30 ans) dit qu’il était sur la porte du citoyen Rivairan, le 12 vers 7 h. ou 7 h. et demie.

 

Ce n’est pas que la Première République n’ait eu le désir d’assassiner encore la France comme sous la Terreur, mais tout simplement elle n’en avait plus les moyens. Elle fit déporter, et guillotiner quelques milliers d’opposants, surtout des prêtres ; elle ne peut massacrer en masse dans les départements du Midi soulevés comme elle l’avait fait en 1793 à Marseille, à Lyon, à Toulon, en Vendée. Il se dressait contre elle une force morale trempée par les massacres. Barras, Reubell et autres pourris étaient d’ailleurs bien trop occupés, avec leurs putes et leurs gitons, à jouir de leurs millions volés : ils laissèrent les fusillades à quelques militaires pour les consoler de n’être jamais payés. Désormais il paraissait délicat de rayer comme ça, d’un cou, de la carte, les 9000 habitants de Castres : le bain de sang vendéen, loin d’éteindre la chouannerie, l’avait développée.

 

Le greffier, ou l’imprimeur, mettent souvent des U pour des N ; ils écrivent Bernard Plauques, Jean-Pierre Duraud, Fabre-Laverguière, Escaude pour : Planques, Durand, Fabre-Lavergnière, Escande, qui eux sont des patronymes répandus dans le Tarn (cette faute seule montre que le type est étranger au pays).

 

Jean Fournès, trafiquant, de Castres, 33 ans, soupe chez son frère Jacques à Latour avec un voisin de rencontre : « Il ne peut se défendre d’un sentiment de crainte que les gens qui étaient arrivés de Castres à Labruguière ne vinssent les inquiéter, le bien de Latour étant un bien national acquis par Sicre, Sabatier et autres ». (Le frère de ce Sabatier, dit Cossoul, est prêtre constitutionnel de Labruguière, et haï comme tel). Il communique ses craintes à son frère et au voisin, qui le rassurent : néanmoins la notation montre ce qu’on pensait des acheteurs de Biens Nationaux en 1797, 4 ans à peine après les événements : ils n’étaient pas tranquilles. D’ailleurs Jean Fournès a raison car vers les 10 h. du soir la troupe arrive... (Page 51, n° 2).

 

Quant à la municipalité de Castres, tout comme les pouvoirs publics en 1968, ils sont complètement absents, évanouis, rayés, hors cadres... Dès qu’il ne s’agit plus de palper du fric, les administrateurs, en France, sont incapables, anesthésiés, du moindre mouvement. Ils ne se réveillent qu’au bruit du tiroir-caisse...

 

Résultat des courses, tout à fait débordant de logique, tout comme le général X à Alger, Bonaparte fait saisir la plupart des braillards et les incorpore dans des demi-brigades ; puisqu’ils aimaient tant la castagne, autant qu’ils aillent y voir de près... En 1815 par exemple, c'est-à-dire moins de vingt ans après les événements de 1797 qui déterminèrent son engagement forcé, Poulou Lacroix était mort. Les riches et les bourgeois, tels Lizou Azaïs et les frères Grach, purent se racheter et naturellement moururent dans leurs lits, riches, vieux et très respectés...

 

En république, la légitimité du pouvoir est toujours incertaine.

 

Accusés

 

Fortuné Fabre, de Mazamet, 19 ans

Gabriel Richard Gaïx cadet, Castres, 18 ans

François Emmanuel Joseph Richard Gaïx aîné, Castres, 19 ans

Louis Azaïs, 20 ans, Castres

Jean Alquier dit Lagasse, Castres, pareur de draps, 35 ans

Guillaume Bardou, Castres, forgeron, 34 ans

Pierre Durand, Castres, 17 ans

Jacques Colombié dit Laclergue, tisserand, Castres, 26 ans

Joseph Boyer dit Laute, tisserand, Castres, 20 ans

Baptiste Paute cadet, garnisseur de chapeaux, Castres, 18 ans

François Ramond dit Combelasse, voiturier, Castres, 20 ans, pages 48, 109

Jean Pierre Raynaud, Castres, chaudronnier, 26 ans

Joseph Combret, chamoiseur, Castres, 44 ans. Pages 53, 102, 156, 171

Jacques Ferrier, cardeur, Castres, 42 ans

Joseph Robert, fils aîné, marchand, Castres, 20 ans

Jean Pierre Carayon, officier de santé, Réalmont, 64 ans

Louis Amans, tailleur pour hommes, Réalmont, 21 ans

Joseph Blanc, cabaretier, Réalmont, 40 ans

Pierre François Granet, cordonnier, Réalmont, 21 ans

Jacques Daniel Malabiau-Boisredon, propriétaire, Lavaur, 36 ans

Raymond Brousse, faiseur de gâteaux, Castres, 32 ans

Louis Henri Derrouch, homme de loi, agriculteur, Ginestières (Alban), 39 ans

Jean Maniasque, génois, travailleur de terre, Labruguière, 27 ans

Goerges Obilz, Vincluve [ ?] Bavière emboiseur [ ?] de laine, Labruguière, 24 ans

Mathias Laquais, cordonnier, Paris, Labruguière, 43 ans

Guillaume Caussé, tisserand, Castres, 30 ans

Jean Barignée, serrurier, Castres, 23 ans

Jean Louis Mauriès, tailleur d’habits, Réalmont, 32 ans, dit Perry

Antoine Escudié dit Joachim, cordonnier, Castres, 25 ans

Jean-Baptiste Fabre, aubergiste, Castres, 39 ans

Baptiste Raynaud dit Lagarrigue, boucher, Castres, 26 ans

Antoine Baute, laboureur à la métairie de Janou, Castres, 18 ans

François Garrigues, Castres, forgeron, 19 ans, dit Lapoudique [ ?]

Saint Cyr Pinel, commis marchand, Castres, 20 ans

Jean Pierre Pezet, cordonnier, Labruguière, 40 ans

Henri Fabre tisserand, Labruguière, 24 ans

Nicolas Courtade, 35 ans, domestique des Gaïx, Boissezon

Jean Faillès dit Charles, Castres, boucher, [ ?] 32 ans

Guillaume Cousinier dit l’Enchenat [ ?], voiturier, Labruguière, 42 ans

Jacques Prades, Mazamet, 2 ans, charpentier

Jean Guiraud, 23 ans, boulanger, Labruguière

Jean Louis Causse, 29 ans, foulonneur, Castres

Joseph Boyer, dit Prithasse [ ?], voiturier, Castres, 31 ans, pages 136 et 162

Jean Mestre dit Barbau, tisserand, Castres, 6 ans

Jean Pierre Job dit le Paysseur, tisserand, Castres, 2 ans

Alexandre Bisson, 18 ans, Réalmont, fabrcant

Jean Pierre Laurens, 20 ans, tanneur, Castres

Joseph Acariès, dit Bout-de-Barre, 32 ans, tailleur de pierres, Castres

 

Sur les 132 prévenus, un tiers seulement (48) a été appréhendé et interrogé.

 

Moins de 20 ans : 16. Entre 2 et 30 ans : 12. Entre 30 et 40 : 14. Au-dessus de 40 : 6.

 

Troubles commencent le 1er germinal an 5 : 21 mars 1747 (page 18, n°4).

5 thermidor an 5 : 27 juillet 1797. Fêtée le 12 thermidor à Labruguière (30 juillet), 3e anniversaire de la chute de Robespierre. Meutre des Grach à En-Laure.

28 thermidor an 5 : 15 août 1797 : Guibal.

 

N°2 Déclarations des témoins.

 Joseph Bru, C. 31 ans page 1

Joseph Espenan p. 2

Guillaume Marti, 2

Joseph Peire, 3

François-Marie Sers, 4

Jacques Icher, 4

Etienne Ramond, 5

Barthélémy Cruzel, 6

Bernard Salomon, 6

Joseph Milhau, 7

Jean-François Bonet, 7

Baptiste Rivairan, 9

Etienne Thomas, 9

Antoine Raynaud, 9 J

oseph Severac, 10

Raimond Mourére, 10.

Antoine Ferroul, 11

Pierre Millarat, 12

François Gaudubois, 13

Jean-Pierre Auger, 13

Raymond Guiraud, 15

Maxence Audouard, 16

J.B. Joseph Malpel, 19

Mathieu Bertrand, 20

Jean Bardou, 20

Jean-Pierre Peire, 21

Jean Regy, 21

Pierre Cussac, 23

Louis Massuyés, 23

Joseph Maraval, 24

Bernard Calme, 26

Jean Calme, 27

Elizabeth Marliannes, 28

Rose Paille, 29

Margueritte Escande, 30

Albine Bonnet, 30

Anne Paille, 31

Jeanne Gasignol, 31

Louis Roques, 32


François Peyre, 32

Marie Guibaud, 33

Pierre Barthe, 33

Jacques Fournés, 34

Jean Lagarde, 35

Marie Roques, 35

Margueritte Roques, 36

Heleine Homp, 36

Hiacinthe Dalens, 37

Jacques Bonnafous, 37

Pierre Fournés, 38

Jacques Fournés, 38

Pierre Guibaud, 39

Jacques Cros, 40

Antoine Escande, 41

Marc Caminade, 42

Geneviève Imbert, 42

Elisabeth Fourgassié, 43

Jean Louis Grach, 44

Guillaume Cardaillac, 44

Guillaume Amiel, 45

François Gasignol, 46

Pierre Cros, 47

Toinon Bertrand, 48

Jean Fournés, 49

Jeanne Tanus, 52

Marie Bonet, 52

Joseph Boyer, 52

Joseph Antoine Jacques Cros, 53

Marc Antoine Martin, 53

Marguerite Clerc, 54

Jacques Romain Molinéry, 55

Louis Guibert, 56

Joseph Graissard, 56

Joseph Salvairé, 57

Philippe Aurous, 58

Jean-Louis Aurous, 59

Simon De jean, 59

Antoine Aurous, 60


Catherine Amiel, 60

 

Etienne Azais, 60

 

Jean Dejean, 61

 

François Guibert, 62

 

J.J, Pierre Fabre Lavergnière 63

 

Pierre Bonet, 64

 

Jean Raymond Cardailhac, 64

 

Guillaume Cardailhao, 65

 

Bernard Brus, 66

 

Jean-Fançois Brus, 66

 

Saint Cyr Pinel, 67

 

Joseph Lagarde, 67

 

François Guibaud, 68

 

Guillaume Cousinié, 69

 

Antoine Pavot, 69

 

Jean Banias, 70

 

François Bourniquel, 70

 

Pierre Rigaud, 71

 

Hilaire Mazas, 71

 

Marguerite Gloriés, 72

 

Joseph Coulon, 72

 

Jean Combelles, 73

 

Bernard Planques, 74

 

Jean Bourdion, 75

 

Anne Bourdiol, 76

 

Margueritte Gasc, 76

 

Louise Fabre, 77

 

Catherine Puget, 77

 

Marthe Pradiés, 77

 

Anne Combes, 78

 

Pierre Andrieu, 78

 

Thomas Puech, 78

 

Marianne Roque s, 79

 

Bernzrd Coste, 79

 

Jacques Mariou, 79

 

Louise Mounié, 80

 

Pierre Fau, 80

 

Marc Paillet, 8l

 

Pierre Cavaillés, 82

 

Jean-Louis Antoine Petit, 83

 

Joseph Desgats Ricole 83

 

Magdelaine Calvet, 84

 

Etienne Fau, 85

 

Marie Bourges, 87

 

Pierre Cros, 87

 

Catherine Ferraud,

 

Jeanne Vincens, 89

 

Anne Bertrand, 89

 

Pierre Clerc, 90

 

Marie Clerc, 90

 

Jeanne Ramond, 91

 

Antoine Sirven, 91

 

Baptiste Fournier, 92

 

Jacques Vidal, 93

 

Marie Alibert, 93

 

Marie Alibert, 94

 

Louis Bernadou, 95

 

Jean-Germain Armengaud, 96

 

Marie Marturé, 97

 

Paul Landes, 97

 

Jean-Marie Leduc, 98

 

Pierre Grenier, 99

 

Jean Baptiste Largis, 99

 

Jean Gaspard Montpellier, 100

 

Antoine Comborieu, 101

 

Jacques Rainaud, 103

 

Jean-Pierre Terral, 104

 

Jean Auger, 105

 

George Briol, 105

 

Jacques Puech, 106

 

André Leris, 107

 

Jeanne Escudier, 109

 

Maurice Bastié, 110

 

François Mialhe, 111

 

Anne Loup, 112

 

Jean Brieu, 114

 

Jacques Guibert, 115

 

Jean-Pierre Duraut, 116

 

Nicolas Erissou, 118

 

Marguerite-Charlotte Laclau, 119

 

Antoine Enjalbert, 120

 

Baptiste Bardou, 121

 

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