Camille Bernede correspondance

Camille Bernède correspondance du front 1939-1940

 

 

 

Camille Bernède

 

 

 

Enfants de Jean Bernède et de Marie ?

 

 

 

Jean a un frère : Léon, et une sœur Irma, épouse François Mercier ; ils se partagent les biens de leur père Pierre le 22/12/1917.

 

 

 

Mercredi 8 mars 1899 : Naissance de la petite Léa, Léontine Joséphine Louise Bernède, née à 2 h. du soir à la campagne de Pla-de-Breau, commune de Maironnes, canton de Lagrasse (Aude). Epouse Jean Monier en 1920 ?

 

 

 

4 mai 1901 : Valérie, Julie, Antoinette, baptisée le 14 mai. Morte le 2 mars 1903 d’une angine.

 

 

 

25 mars 1903 : Irma. Elle épouse Georges Andrieu le 13 avril 1929 à Maironnes (à 26 ans).

 

 

 

16 août 1908 : Camille, né à 7 h. du matin, le lendemain du jour de la première communion de sa sœur Léa qui a 9 ans, 5 mois et 7 jours (note du père).

 

 

 

            Camille, vigneron dans l'Aude, vient d'avoir 31 ans quand la guerre de 1939 se déclare. Il vit avec ses vieux parents - son père a déjà fait la guerre de 1914 dans la réserve - dans un val isolé, au milieu d'un creux de montagnes des Corbières. Le village le plus proche est à un kilomètre et demi, et il n'y a guère de ressources : c'est un hameau. Il faut aller, pour trouver épicerie, docteur, pharmacien, jusqu'à Lagrasse ; et en ces années-là, on le sait, le machinisme dans ces campagnes n'a guère encore pénétré, et tout se fait à l'aide d'un cheval. D'ailleurs quand on connaît la région, on voit combien il est difficile de la cultiver au tracteur.

 

            Les villages proches, St Pierre-des-Champs, St Martin-des-Puits, sont peu peuplés. Beaucoup des jeunes sont partis pour la ville, ainsi Léa, la sœur aînée de Camille, née en 1899, a épousé le fils d'un voisin, Jean : ils ont quitté tous deux le val si vert avec sa chapelle pas encore ruinée et sont allés s'installer à Nanterre. Camille a une autre sœur, Irma, qui s'est mariée, elle, dans une commune proche. Dans les villages, les filles cherchent un mari, s'ennuient volontiers, n'ont qu'une seule envie, quitter ces solitudes des Corbières, pour connaître "la ville et ses secrets". En 1939, on n’est pas encore saturés de la civilisation urbaine ; et même en 1962, quand j'ai trouvé les lettres envoyées par Camille à ses parents, I dans la ferme qu'ils avaient habitée et qui avait été rachetée par un ami - le val était complètement désert, silencieux, vide... Tout avait été abandonné, comme après quelque grande catastrophe. Le linge était dans les armoires, les assiettes dans les placards, la cruche à eau sur l'évier et le foin dans la grange - mais tout était pourri : il pleuvait à travers le toit sur deux étages. Seul un pied-noir qui quelques années auparavant avait acheté cette ferme pour se garer, y venait quelquefois chasser, en automne. C'était loin de tout. La campagne achevait de se désertiser. En novembre, des taches rouges dans la garrigue envahissante montraient que là avaient été des vignes, dans le temps. Des chasseurs s'amusaient à crever les fenêtres à coups de fusil. Je ramassais dans la grange boueuse, un jour de pluie, tous les papiers de la famille de Camille, avant qu'ils ne disparaissent complètement.

 

            Il faut dire que depuis la fin du XIXe siècle ç'avaient été des paysans travailleurs, rangés et économes. Des registres de la Samaritaine, du Printemps ou du Bon Marché contenaient leurs comptes jour après jour. Ils les avaient utilisés, d'ailleurs, un peu comme des palimpsestes : sous l'Occupation, la mère de Camille réécrit ses comptes sur des registres des années 1910 - seulement elle les écrit à contre page. Tout cela est bourré de renseignements sur la vie audoise de 1880, mettons à 1942.   

 

            Donc, mobilisé le 3 Septembre 1939, à Castres, au 115e régiment d'artillerie lourde hippomobile, 10e batterie, 4e groupe, Camille regagne son unité avec fatalisme. Il y restera dix mois tout juste, car il sera fait prisonnier avec sa batterie le 4 Juin 1940 dans la poche de Dunkerque.

 

            Pendant ces six mois dits "drôle de guerre" Camille a beaucoup écrit : à ses parents bien sûr, dont il est le seul fils et unique soutien ; à sa sœur Léa. Celle-ci dès le début de la guerre a jugé bon de faire descendre ses deux enfants, Guy et Lucette, au vert hameau familial. Il n'y a pas encore grand monde en 39 (la ferme des parents de Camille est, elle-même, isolée du hameau) mais à partir de 1940 on verra toutes ces terres à moitié abandonnées être retournées, cultivées par des réfugiés. Les parents de Camille et leur voisine, Julie, veuve d'un garde républicain, sont heureux de voir un peu d'animation sur leurs terres entourées de montagnes. Camille écrit aussi à sa cousine Suzette, qui habite, elle aussi avec des neveux et des nièces réfugiés, un véritable nid d'aigle au sommet d'une montagne - proche à vol d'oiseau, mais drôlement perchée quand on s'y rend en voiture ! Un bout du monde !

 

            En passant par Saint-Martin-des-Puits pour s'y rendre, on rencontre une borne qui commémore un accident :

 

Souvené

 

vous que

 

vous foules

 

la terre de

 

se malheureux

 

eboulement qui

 

a ateint l'honorable

 

SARDA FREDERIC

 

qui n'a vécu que

 

2 heures après le

 

coup le 30 Août

 

1882

 

à l'age de 41 ans

 

Priez pour lui.

 

 

 

            Suzette a beaucoup de gaité et de courage mais s'ennuie dans sa solitude montagneuse. Tous les hommes des environs sont aux armées ; comme en 14 il ne reste que les vieillards. Les parents de Camille ont des difficultés à faire cultiver leurs terres, à faire leur vin : heureusement des voisins les aident. Suzette, haut perchée sur sa montagne, ne parait pas avoir de vignes ; elle sème du blé…

 

            Il y a aussi Laure, une tante perpignanaise, qui écrit au nom de sa famille des lettres patriotiques à son neveu Camille. Toutes ces lettres sont intéressantes, et d'abord pour nettoyer l'esprit du lecteur de quelques clichés qu'on lui a injectés depuis quarante ans. Oui, ces gens ne sont pas défaitistes. Oui, ils croient en la victoire des français, oui, ils savent qu'ils ont le bon droit pour eux et qu'Hitler est un barbare. Non, ils n'écrivent pas de lettres anonymes pour dénoncer leurs voisins : il faut prendre le contrepied exact de la propagande anti-française des quatre dernières décennies si on veut enfin comprendre quelque chose à la mentalité des gens de 1940. Ces paysans et vignerons ne parlent jamais des acquis de 36 : ils ne sont pas pour eux. La guerre, par contre, amenée par des gouvernants incompétents, lâches et défaitistes, est bien là, elle.

 

 

 

            Le 3. 9. 39

 

 

 

            Chers tous

 

 

 

            J'ai fait bon voyage, nous sommes dans une ferme mais sûrement pas pour longtemps. Je suis avec deux copains de St Laurent et Gavigneau de Montlaur. Nous allons au magasin pour nous habiller. Sur ma prochaine je ferai plus long. Bons baisers à vous tous. Un bonjour à Jean à qui je n'ai pas serré la main avant de partir. Votre fils et frère et oncle

 

 

 

Camille

 

115e R.A.L.H. 10e Batterie Castres Tarn

 

 

 

*

 

 

            Castres le 8. 9. 39

 

 

 

            Chers parents

 

 

 

            Voilà déjà quelques jours que je vous ai écrit, et je n'ai pas encore de réponse. J'espère que cela ne va pas tarder, ma santé est bonne et souhaite qu'il en soit de même pour vous tous. J'ai fait bon voyage et suis avec 4 copains de St Laurent. Il y en a aussi un de Viviés. Nous sommes dans une ferme et ne savons quand on partira. Et là-bas que faites-vous. Sur votre prochaine racontez-moi les nouvelles du pays. J'ai écrit à Montlaur de même qu'à Jean à Paris, mais j'attends toujours la réponse. Je donne ma lettre à un type qui va à Carcassonne, peut-être comme cela vous la recevrez, car il s'en perd beaucoup.

 

            Ne vous faites pas de souci. Tout s'arrangera. Içi pour l'instant nous sommes bien, et la nourriture va à peu près. A-t-on pris beaucoup de chevaux ? J'ai vu trois charettes, une de Montlaur, une à Sabinau de Serviés et une à M. Bascou de Villetritouls.

 

            Je ne vais faire plus long pour aujourd'hui, car les copains sont à la soupe. J'espère que Jean est toujours parmi vous et donnez lui un amical bonjour. Recevez tous en famille mes bons baisers. Votre fils frère et oncle    

 

Camille

 

 

 

Le bonjour à tous les voisins et à Julie, sans oublier Guy et Suzanne. René est-il parti ?

 

 

 

115e R.A.L.H. 10e Batterie 4e groupe

 

aux Métairies-Basses par Tournemire

 

Tarn

 

J'oublie de vous dire que j'envoie la valise à St Laurent, car les copains n'avaient rien pour expédier leur costume. Elle sera chez Denoy, vous pourrez la faire porter par l'oncle de Thézan. Nous avons mis les trois costumes ensemble.

 

 *

 

            Le 21. 9. 39

 

 

 

            Chers parents,

 

 

 

            Hier j'ai reçu votre lettre qui m'a fait grand plaisir de savoir de vos nouvelles. C'est la première de vos lettres que je reçois depuis mon départ de la maison. J'ai reçu en même temps celle d'Henri Cambra. Que je vous dise d'abord que ma santé est excellente et suis heureux qu'il en soit de même pour vous tous et que papa se maintienne. C'est avec joie que j'ai appris les petites nouvelles du pays et le travail que vous êtes en train de faire. Si vous allez à Lagrasse avec la charrette tachez de ne pas vous faire mal, les routes glissantes et que la jument n'aie pas peur des autos. Je vous conseillerai de vendre le bois sur place ou bien rendu à Caunettes. Toujours faites de votre mieux. La petite couraïllo qui est sur la luzerne de borde n'est pas à nous, d'ailleurs l'oncle de Caunettes vous renseignera. Suis heureux que vous ayez des visites de temps en temps. Donc Marcellin n'est pas mobilisé, tant mieux pour lui. Julie va-t-elle vous voir de temps en temps ? Sûrement oui. J'ai écrit à Caunettes ces jours-ci. J'ai reçu aussi une lettre de Montlaur, c'est la première qui m'est parvenue depuis mon départ. Un peu tous les jours j'écrirai aux parents, mais on n'est pas bien libre. Au Pla de Breau je voulais y mettre de l'avoine, mais si vous ne pouvez pas vous n'avez qu'à le laisser. Toujours si vous en semez un peu, le restant pour le grossier je serai sûrement venu en perme.

 

            Comment ferez-vous pour défaire la graine de luzerne ? Vous ne l'aurez pas facile. Jean l'at-il fauchée à la main ? Sûrement que oui. A mon départ à Borde Rouge j'ai rencontré Louis Carla mais M. Pigeaud était parti le matin à 4 h. ce qui fait que je n'ai pu le voir. Vous avez fait la demande d'aloocation, c'est bien, car ils doivent vous la donner, obligatoirement.

 

            Avez-vous des nouvelles de Thézan ? Si oui transmettez leur des miennes. Je vais lui écrire un de ces jours même à Fonderazouls.

 

            Pour l'instant nous sommes très bien et le secteur est très calme. Nous avons des très bons officiers, ils sont tous de réserve c'est à dire appellés comme nous, le capitaine est de Cette.

 

            Je termine pour aujourd'hui en vous embrassant bien fort à tous sans oublier Guy et Suzanne. Bons baisers de votre fils et frère et oncle

 

Camille.

 

 

 

Amical bonjour à Jean, dites lui de graisser mon fusil. Je l'ai oublié à mon départ. Si vous écrivez à Montlaur, dites lui que j'ai reçu sa lettre et que je leur répondrai bientôt.

 

 

 

 

 

 

            Le 27. 9. 39

 

 

 

            Bien chers parents

 

 

 

            Aujourd'hui même j'ai reçu la carte de Léan ainsi que l'adresse de Louis et de Paul, toujours avec plaisir de savoir de vos bonnes nouvelles. Pour moi ma santé est bonne, toujours la même vie, et le travail est tenable.

 

            Je vous ai envoyé une lettre il y a quelques jours qui sûrement s'est croisée avec la carte de Léa. Je vous donnerai les renseignements au sujet du bois de sur la couraïllo de la borde, qui n'est pas à nous comme disait maman. Léa me dit que vous êtes allés à Lagrasse porter du bois, c'est bien, mais ne vous faites pas mal.

 

            Maintenant les vendanges doivent avancer. Avez vous trouvé un homme pour vous aider et Caroline viendra-t-elle ? Vous me direz cela sur la prochaine lettre. Je joins à la présente un certificat de présence au corps qui peut vous être utile pour l'allocation, mais si personne ne le demande, gardez-le à la maison. Léa me dit que vous avez des nouvelles de Jean et qu'il attend des miennes, cependant je lui ai écrit deux fois une fois de Castres et une autre d'içi. Je n'y comprends plus rien. Je vais lui écrire une 3e fois. J'ai écrit un peu à tous les parents, mais les réponses se font bien désirer. Recevez-vous mes lettres ? Dites le moi. Içi il y a beaucoup de soldats qui reçoivent les lettres de chez eux et celles qu'ils envoient se perdent et les maisons sont sans nouvelles.

 

            Ces jours-ci j'ai vu Félix Poudou de Villetritouls que maman connait. Nous sommes au même régiment. Dites moi aussi où est Alexandre, car s'il est au 115 je pourrai le voir. Sur ma dernière je vous disais de m'envoyer un mandat, si vous n'avez pas reçu la lettre je vous le renouvelle ne tardez pas, les fonds sont en baisse. Je termine pour aujourd'hui, à bientôt de vos nouvelles, bons baisers de votre fils frère et oncle

 

Camille

 

Le bonjour à Jean et aux voisins. Les Sibade ont-ils acheté un autre cheval?

 

 

 

*

 

 

 

            Aux Armées le 29. 9. 39

 

 

 

            Bien chers parents.

 

 

 

            J'ai reçu hier la carte de Léa, laquelle m'a fait grand plaisir. Je viens à mon tour vous donner de mes bonnes nouvelles. Je suis bien loin de vous tous, sans pouvoir toutefois vous faire connaître l'endroit exact où je me trouve : c'est en tout cas un pays qui a connu plusieurs fois les horreurs de la guerre, que nous avons repris et que nous voudrions conserver.

 

            Je ne peux encore vous citer aucun brillant fait d’armes de notre groupe ; ceux-ci ne s'accomplissent que sur le front ou sur un champ de bataille, alors qu'une vingtaine de kilomètres nous séparent encore de la ligne de tourmente et de deuil. Nous avons tout de même bon espoir et surtout bon courage. Nous comptons sur vous tous, qui avez le souci de vos soldats pour que nous puissions de temps en temps recevoir de vos bonnes nouvelles. Aidez vous entre parents du mieux que vous pourrez, je sais que vous n'y faillirez pas ni les uns ni les autres, c'est du reste comme cela que nous avons toujours fait dans notre famille. Excusez moi si quelquefois j'attends un peu à vous écrire, faites vous passer les nouvelles entre parents. J'écris presque tous les jours à Gaby que j'ai laissé presque inconsolable le jour de mon départ. En ce moment, elle doit être à Caunettes pour vendanger. Je vais écrire à Camille, s'il n'a pas changé il est au même secteur que mon beau-frère Aubert, peut-être auront-ils la chance de se rencontrer. Içi nous sommes beaucoup des environs, j'ai avec moi Taudou Ulysse de Rieux et un nommé Cros de Pradelles que Jean doit connaître. Je vais terminer pour aujourd'hui en vous embrassant bien fort, surtout à vous cher oncle et à vous chère tante, à vous tous mes chers parents qui n'aviez pas besoin de cette épreuve cruelle. Ayez bon courage comme nous. Votre neveu et cousin

 

Louis

 

222e R.A.L.C. 15e Batterie 3e Pièce

 

S.P. 139

 

 

*

 

 

            Des Armées le 15. 10. 39

 

 

 

            Biens chers parents en famille

 

 

 

            Aujourd'hui dimanche je viens répondre à la lettre de Léa que j'ai reçue hier samedi. Toujours avec plaisir de savoir de vos bonnes nouvelles, il en est de même pour moi. Suis heureux des nouvelles que Léa me raconte, mais bien peiné de vous savoir en peine. Au reçu de ma lettre, les vendanges seront sûrement sur le point de finir, mais comme dit maman, question de perme il n'y a rien à faire pour le moment. Mais cela pourrait venir bientôt, peut-être le mois prochain. Je suis navré que vous ne receviez pas plus de lettres que ça, car depuis celle que vous avez eue, j'en ai envoyé cinq. Au reçu de la présente, vous en aurez sûrement eu d'autres. En même temps que la vôtre d'hier j'en ai reçu quatre ensemble, une de Jean avec un mandat, je lui réponds par retour du courrier et le remerçie beaucoup. Une de Georges de Montlaur, et enfin la 4e je ne m'y attendais guère c'est Raymond, de St Martin. Si au pays il pleut souvent, içi c'est la même chose, depuis bientôt quinze jours que nous avons quitté la Savoie, nous n'avons plus vu le soleil. Pour l'instant nous sommes dedans, et puis on verra. Je ne doute pas que cela vous rende le travail pénible, dans les vignes, sans un homme fort, mais je peux le répéter jusqu'à demain. C'est parler pour ne rien dire. Faites ce que vous pourrez, et puis on verra toujours. Je ne pense pas que vous mettiez les gimbardes pour le peu que vous devez charger, vous auriez pu faire sans cela avec le charriot de Pénouty qui est plus commode. Avez-vous fini de vendre le bois ? Vous me le direz sur votre prochaine lettre. Léa me dit que le travail est pénible, de cela je n'en doute pas un brin. Vous l'auriez plus commode de faire les comportes sur la charrette.

 

            Quant aux effets d'hiver que me dit maman, je vous l'avais dit sur une lettre que vous n'avez sûrement pas reçue. Il me faudrait un caleçon, une chemise, les gants que m'a fait Léa, un cache-col, une paire de bas en laine. Vous pourriez y mettre un pulover ou le tricot boutonné et une serviette. N’exagérez pas quand même, car on est embêté pour le mettre. De quoi manger cela je l'accepte malgré que cela puisse aller.

 

            Louis m'a écrit aussi. Paul une fois également. Oui Aubert est au même secteur que moi. J'ai son adresse mais ne l'ai pas encore vu. Alexandre m'a écrit, de même qu'Eugène d'Albertine.

 

            Il est l'heure de la soupe et je vais finir ma lettre. Soyez tranquilles pour mon courage, je n'en manquerai pas. Tâchez d'en faire de même, malgré tout on ne peut pas se tuer.

 

            Donnez le bonjour à tous les voisins et amis sans oublier Jean. Je perd le goût des lapins.

 

            Recevez mes bons baisers sans oublier Guy. Votre fils, frère et oncle qui vous embrasse

 

Camille

 

 

 

Je ne peux d'içi vous dire où sont les chaînes que me demande Mainau. J'ai reçu la lettre recommandée ainsi que le mandat, enfin les vôtres arrivent normalement.

 

 *

 

 

            Des Armées le 22. 10. 39

 

 

 

            Chères cousines, cousin et oncle

 

 

 

            A l'instant même je reçois la lettre de Laure, toujours avec grand plaisir. Croyez bien qu'en ce moment pour les soldats les nouvelles sont aussi utiles que la soupe. Ma santé est bonne et suis heureux qu'il en soit de même pour vous tous. La vie continue son va et vient sans être trop dure, et le secteur demeure calme. Aujourd'hui dimanche nous avons quartier libre toute la journée et je profite de cela pour ma correspondance, c'est ma cinquième lettre que je fais, et savez vous qu'il m'a fallu pour cela un élan courageux.

 

            J'ai de très bonnes nouvelles de la maison. Les vendanges sont à peu près terminées avec beaucoup de peine et surtout par un temps pluvieux ce qui rend encore le travail plus pénible. La récolte est jolie parait-il, cela me console un peu. Tous les parents sont très fervents et reçois souvent des nouvelles de tous, ceux de Font-de-Razouls également et vous en remercie beaucoup.

 

            Oui chère cousine, nous voilà maintenant devant le fait accompli, tout le monde s'y attendait, mais le moment est dur. La lutte est engagée et ne pouvons guère prévoir sa durée. L'essentiel c'est d'avoir bonne santé et bon courage, chose qui ne manque pas encore, et nous pouvons peut-être arriver à une fin favorable pour nous, c'est l'ardent désir de nous tous. Quant à notre devoir soyez tranquilles nous n'y manquerons pas, quoiqu'il advienne. Nous avons tous la foi, et sommes résolus à tout sacrifice. Nous commençons déjà à connaître l'endurance, mais hélas c'est encore des roses à côté de ce qui nous attend, nous le savons trop bien. Je ne sais que vous raconter de plus. Il est une heure, et le dimanche est bien triste. La plupart des copains écrivent comme moi. C'est quand même ma dernière lettre pour aujourd'hui.

 

            J'abandonne le crayon pour faire la belotte, les copains sont déjà installés et m'attendent. Et puis après, nous allons souper en ville, car içi la vie n'est pas très chère, avec 9 ou 10 francs nous avons un bon repas, quoique la nourriture n'est pas mauvaise.

 

            Je vous quitte pour aujourd'hui, bonne santé et bon courage. Votre cousin et neveu qui vous embrasse bien fort à vous 4 en famille

 

Camille

 

 

 

 

*

 

 

            LE 25. 10. 39

 

 

 

            Bien chers parents

 

 

 

            Par un moment de repos, je viens répondre à la lettre de Léa que j'ai reçue hier. Toujours avec plaisir de vous savoir en bonne santé. Pour moi ma santé est bonne aussi. C'est avec grand plaisir que j'apprends les nouvelles du pays. Heureux que vous ayez fini de vendanger. Je ne doute pas que vous ayez pris beaucoup de peine mais vous avez fini sans embûches, c'est l'essentiel, une fois la récolte rentrée on peut voir venir. A ce que vous me dites, la récolte a été passable, tant mieux. Le vin est- il à un bon prix ? Vous me direz cela.

 

            J'ai reçu une lettre d'Irma, me disant qu'ils avaient fini aussi, mais qu'ils en avaient moins que l'an dernier. Quant à l'oncle de Caunettes, je n'ai rien reçu de sa part pour l'instant. Cela m'importe peu. Maman ajoute sur la lettre que vous avez des renseignements sur mon compte par Gaby. Je vous l'avais dit sur une de mes lettres qui s'est peut-être perdue, en tout cas c'est bien exact. Vous pouvez être fixés pour le moment. Içi il ne cesse de pleuvoir, la majeure partie du terrain est recouverte d'une forte nappe d'eau. C'est dégoûtant, malgré tout il ne fait pas encore froid.

 

            D’après la lettre de Léa, il se passe du bruit à certains villages voisins. Eux - vous savez qui je veux dire - ne m'en ont jamais parlé. Mais je le crois bien. Il y a peut-être des injustices. Içi nous en avons avec nous qui ont 41 ans et qui ont déjà fait un bon peu de celle de 14. Ils savent aussi ce qui se passe chez eux. Il y en a de plus jeunes qui ne sont pas partis et savez-vous qu'ils ne sont pas fiers mais personne n'y peut rien. Donc Elie n'est pas parti non plus. Et toujours sans nouvelles de son père. Ça c'est malheureux, car pourtant il ne devait pas être encore monté en ligne, et j'espère bien qu'au reçu de la lettre il aura écrit. Vous me tiendrez au courant.

 

            Oui, je puis vous assurer que tous les parents sont très fervents pour m'écrire. Laure de Perpignan m'a envoyé deux fois des lettres charmantes, Suzette de Font-de-Razouls m'écrit aussi souvent. Je joins à la lettre une photo que nous avons fait faire en vitesse, ce sera toujours un souvenir. C'est un de St Laurent qui est avec moi et sommes comme deux frères.

 

            Maintenant il se parle beaucoup de permissions, mais je ne sais si je serai des premiers, enfin je fairais de mon mieux.

 

            Je vous quitte car il est 5 h. du soir et je vais prendre la garde. Surtout bonne nuit. Heureusement que nous sommes dedans car il pleut à verse.

 

            Recevez mes bons baisers. Votre fils, frère et oncle qui vous embrasse bien fort

 

 Camille.

 

 

 

*

 

            Aux armées le 28. 10. 39

 

 

 

            Bien cher copain

 

 

 

            Je viens te donner de mes nouvelles, qui sont fort bonnes pour le moment. Et je croit bient que ma presentte tant trouve de même à son arrivait. Je vais te dire de me faire savoir çi tu as reçu la lettre que je tais déjà envoyer, il y a quelques tant. Comme je voit que tu ne veux pas m'écrire c'est moi qui vient une fois de plus te demander de tes nouvelles. Je voudrais bient savoir ou tus ait, il me semble quand étant dant le meme secteur que moi qui est le 811 on doit pas se trouver bient loing l'un de l'autre. Maintenant je vait te dire qu'il fait trais mauvais temp. Tout les jours il pleut et nous marcheont toujour dans la boue jusqua la cheville. Tu pense Camille que cella n'est pas beaucoup intéresant pour les pauvres soldat comme nous qui çi trouve. Pour le moment le travail nest pas trait pénible, nous somme affectée un régiment du Génie pour faire des blocos pour des canon de 85 et le mangé ne vas pas mal nont plus. La celle chosse que nous attendont c'est la classe pour revenir dans nos foyer et revoir toute ses charmante jeune fille, que je languit beaucoup de revoir. Elle me donne souvent de ses nouvelles, qui me font beaucoup plaisir. La nouvelle institutrice est arrivait. Ont me dit qu'elle est superbe et que s'est domage que nous soyont pas las pour lui faire la cour. Tout ça s'est ma sœur Georgette qui me la dit. Il faut croire que nous yront bientôt pour anfaire la connaisançe. Si jamais Clément Monié tas écrit donne mois sont adresse. Je lait écrit à Germaine de Mouthoumet, elle me dit qu'il ne lui a pas encore donner de ses nouvelles et qu'elle regrette beaucoup les bons dimanche que nous avont passé ensemble. Toute ses chosse reprandront après la guerre, à savoir si elle dureras lontent ou bient si ça finiras bientôt. Je ne voit rient plus à te dire pour aujourd'hui. Ent attendant de te lire bientôt reçoit d'un bon copains qui pense souvent à toit ses plus affectueuse amitié

 

            Une réponse bientôt. Bonsoir

 

Antoine Raynaud

 

 

*

 

 

            Des armées le 28 . 10. 39

 

 

 

            Bien chers parents

 

 

 

            A l'instant même je reçois la lettre de Léa. Comme il est midi juste après la soupe, j'y réponds de suite.

 

            Que je vous dise d'abord que ma santé est bonne, et suis heureux qu'il en soit de même pour vous tous. Hier soir j'ai reçu aussi les deux colis qui sont arrivés ensemble en très bon port. Je n'ai pas encor goûté au mangé. Quant au linge c'est suffisant. La chemise ne me l'envoyez pas. Comme cache-col, il va aussi.

 

            Suis très heureux des nouvelles que me dit Léa, surtout que vous ayez fini de vendanger et que la récolte soit jolie, le restant s'arrangera toujours. Quant au bois, s'il ne vous reste que celui de las mounjoys, il n'y en a pas beaucoup, et presque sur le chemin. Mais regardez bien, il y en a en plusieurs endroits. Je n'ai rien reçu de l’oncle de Caunettes, mais cela m'importe peu. En même temps que votre lettre, j'en reçois une de Marcelin de Marseille qui est très gentil, c'est la deuxième qu'il m'envoie. Irma m'avait dit les institutrices qui allaient à Caunettes et Maironnes, aussi vous aurez des gens du pays. Vous commencez maintenant à avoir le sucre taxé, içi aussi la loi entre en vigueur le 1er Novembre.

 

            Que je vous dise maintenant que la vie militaire ne change pas. Le secteur est toujours calme pour l'instant, mais je vous assure qu’il fait un bien sale temps. Il pleut toujours et il commence aussi à faire froid.

 

            J'ai eu grand plaisir d'apprendre les nouvelles des militaires du pays. Clément je n'en doute pas qu'il ait trouvé du changement avec Thézan. J'ai écrit à l'oncle mais j'attends toujours la réponse, cela je le savais et ne lui en veux pas. Je vais écrire à l'oncle Nicodème. J'espère qu'au reçu de ma lettre Lucette sera guérie de son mal aux dents, et que Guy travaillera bien avec sa nouvelle maîtresse.

 

            Je ferai plus long prochainement. Il est une heure, l’adjudant me demande, je ne sais pourquoi.

 

            Bons baisers à vous tous ainsi que tante si elle est là, un bonjour à Jean

 

            Bons baisers

 

          Camille.

 

 

 

*

 

             Font-de-Razouls ce lundi 30. 10. 39 après souper.

 

 

 

            Cher cousin,

 

 

 

            Me voici de nouveau la plume à la main pour venir passer un peu de ma veillée auprès de toi. Que je te demande tout d'abord comment va ta santé ? Surement bien, du moins nous l'espérons. Il en est de même pour nous trois içi car Marcelle est à Dernacueille quelques jours avec Aimé pour lui aider un peu à vendanger.

 

            Et toi pauvre Camille que fais tu ? Certainement pas grand chose et sans doute tu ne dois pas trop languir, que veux tu il faut le prendre du bon côté et à l'avenir nous verrons bien.

 

            Par içi pas grand chose de nous, mais je crois bien que ma lettre te fera plaisir car je vais t'en mettre quatre pages pour te tenir cinq minutes (mais ne confond pas). Théodore a quitté à présent Valence et est actuellement à Tolède dans l'Hérault, nous l'attendons tous les jours car il doit venir en convalescence, il a été opéré de la pendicite voilà déjà quelque temps, le 18 septembre, il a fait 25 jours d'hôpital à Valence, il doit venir pour 21 jours le pauvre et tu peux croire qu'il nous tarde beaucoup de le voir, surtout savoir qu'il a été malade sans nous pour le voir. Enfin nous verrons bien. Dans ce cas nous ignorons complètement où tu es et ce que tu fais, mais je crois bien que tu n'es pas trop mal.

 

            René est aussi en permission agricole de 21 jours, lui est dans le Var. Et toi ne viens tu pas pour la permission agricole ? Tu y as aussi droit, étant propriétaire. Il faut que tu demandes à partir, et venir nous faire un petit tour par là manger quelque chose. Adrien est toujours aux environs de Nancy facteur, lui ne s'en fait pas, et on lui a bien trouvé sa place. Joachim était à Cannes mais maintenant est parti direction inconnue, il a fait 5 étapes pour y arriver.

 

            Louis aussi vient de partir de perme, il a rejoint Castres pour le moment et ne sait pas s'il va partir. Cela le tracasse un peu, mais que veux tu chacun de notre côté il faut le prendre, ne serait-ce que par force. Malgré tout il faut espérer revivre un jour prochain les bons moments semblables aux passés et meilleurs encore. Mieux nous saurons le prendre. Excuse ma lettre si elle est un peu mélangée, tu sais j'ai toute une marmaille à mes côtés qui m'énerve, la famille Trédieu, c'est à dire les petits enfants de Paticou et tu sais rien que quatre ! Aussi pense quel bruit et quel travail. On n'y est pas habitués car içi tout est calme et sommes bien sages et faut remettre tout à plus tard. Cela est bien malheureux falloir penser à une chose pareille malgré que je sache que c'est vrai je ne le vois pas possible, et dire que pour un seul homme falloir tout ce travail ! Si on pouvait le détruire quelle chance ! Au moins nous serions tranquilles.

 

            Içi aussi de temps en temps nous avons des nouvelles de tous, ce qui nous fait bien plaisir. Au moins si nous sommes loin et seules, avoir des nouvelles pour nous soulager un peu et chasser le cafard, car bien souvent il est présent. Si par hasard Théodore vient et qu'il puisse conduire l'auto, étant pas trop fatigué, il se pourrait que nous arrivions jusque chez toi à Bernède pour les voir un peu, lui faire ce plaisir.

 

            Içi tu sais il fait bien froid. La neige a fait son apparition. Vendredi matin elle a fondu quand même, ce qui n'empêche pas que le vent est froid, et faut plus d'une fois s'y souffler, mais nous encore nous avons le feu. Et vous pauvres, si vous avez froid, rien. Tout de même que cela est malheureux. Pense le souci que maman a, la pauvre, pas moyen de la consoler plus d'une fois : trois de partis et les autres aux veilles.

 

            Je vais finir pour ce soir, car je ne sais que te dire de plus et me réserve pour la prochaine, car j'ose bien croire que quelquefois tu n'as pas trop la flemme. Tu nous donneras de tes bonnes nouvelles, cela nous fait tant de plaisir de savoir que vous allez tous bien.

 

            Maman se change, toute la famille s'en va au lit (et sans regrets) car je serai plus tranquille, mais ta lettre est finie.

 

            Je vais encore faire un bout à Adrien. Tu es passé le premier chez moi car tu sais je pense bien souvent aux rigolades faites ensemble, on s'entendait bien tous les deux.

 

            Je te quitte, toute la famille t'embrasse bien fort. Ta cousine qui t'embrasse de loin en attendant les prochains événements, bonsoir et bonne nuit

 

 

 

Suzette.

 

*

 

             Des armées le 1er 11. 39

 

 

 

            ... Aujourd'hui comme jour de fête nous avons repos. Mais pour ne pas changer il pleut à verse, impossible de sortir, et la température s'est aussi bien rafraîchie. Donc ma lettre a été contrôlée, c'est la première je crois bien, mais suis content que vous soyez fixés, ce sera je crois bien, pour longtemps sauf contr'ordre.

 

            J'ai reçu les deux colis ensemble, je vous l'ai dit sur ma lettre N°3 que vous n'aviez pas encore reçue au départ de la votre. Tout va très bien et la boustifaille est excelente, j'y ai goûté avec des copains tanto l'un, tanto l'autre, car c'est une avalanche de colis qui arrivent à la batterie, le vaguemestre est obligé de venir avec une grande voiture. D'après le récit de vos lettres la récolte a été belle, ten mieux vraiment je ne l'aurai pas cru. Faites toujours de votre mieux pour le pressurage, puis il est fort probable que d'içi au 1er de l'An je vienne en perme, quoique pas bien sur encore. Ce sera sûrement les classes avancées qui partiront avant, mais je crois que cela marchera assez vite.

 

            Il y a quelques jours que je suis sans nouvelles de Jean. Puisqu'il vous écrit à vous sa va, pourvu qu'il soit en bonne santé. J'ai eu ces jours ci une surprise, une très gentille lettre d'Henri Bridou qui est à Cherbourg, c'est gentil de sa part aussi j'ai répondu par retour de courier. Marcelin de Marseille m'écrit aussi souvent et me dit qu'il a fait une vague de froid là-bas. C'est général puisque vous avez déjà vu la neige. Suis content que Guy aille en classe, j'espère qu'il doit être heureux avec ses copains de Caunettes et sa nouvelle maîtresse. Henri me dit qu'il pense bien que ce sera cette année celle de son certificat, surtout qu'il n'est pas peur en chimie.

 

            Maintenant pour les engrais que demande Maman je n'en ai pas commandé et vous conseille de le laisser tranquille. Si vous semés un peu au Pla-de-Breau sur l'esparcet pas besoin d'en mettre, un peu de nitrate plus tard sufira. J'allais justement vous demander si vous ne saviez rien de l'allocation. Comment se fait-il que cette demande soit restée sous le tapis, qui est-ce qui l'avait à Lagrasse ? Mais le retard vous sera payé. Remerciés Mr Castet, et donné lui un amical bonjour de ma part. Vous me dites que Georges Madrennes est au même secteur que moi. Mais vous auriez pu lui demander le régiment, car s'en cela ce serait un gros hasard que je le rencontre. Mon copain de St Laurent le connais aussi très bien.

 

            Quand Léa pense-t-elle venir à Paris? J'avais demandé une perme de 24 heures pour aller voir Jean un jour qu'il serait de repos, mais rien à faire pour l'instant, inutile que lui vienne non plus, c'est interdit.

 

            Quand vous verez l'oncle de Caunettes dites lui que j'ai reçu la lettre et le mandat, et remerciez le pour moi. D'après ce qu'il me dit, tante ne dois pas le savoir, dites le à lui seul. Je vais lui écrire un de ces jours. Ceux de Perpignan m'écrivent aussi très souvent et l'oncle Nicodème m'a envoyé 30 Francs hier. Tout cela me fait du travail à répondre.

 

            Je ne fais plus long pour aujourd'hui, recevez mes bons baisers à vous tous en famille

 

 

 

Camille

 

 

 

*

 

            N°5. S.P. 211 le 6. 11. 39

 

 

 

            ... Le travail que vous êtes en train de faire est très bien, de même que le pressurage. Le prix du vin n'est pas à dédaigner, vous me dirai le poids dès que vous l'aurez pesé.

 

            Donc les Sibade n'ont toujours pas de cheval puisque vous êtes allés au moulin ensemble. Léa me dit que je connais Jean de Termes. Je pense bien, nous avons trinqué ensemble à Lézignan, le jour de la mobilisation. Louis m'a écrit une fois, je lui ai répondu mais depuis je n'en sais plus rien. Cela m'importe peu. Par contre Paul m’écrit souvent, lui est très gentil. Antoine d'Albertine est très près de moi. Je comte le voir, du moins je fairais le possible, car nous, nous sommes plus libres qu'eux.

 

            Les petits bleusous qui restait au pays ont passés une visite, cela leur fera les pieds car là-dedans il y a beaucoup d' injustices...

 

 

 

8 Novembre 1939 : Camille remercie son beau-frère Jean d'un mandat qu'il lui a envoyé "pense bien, cher Jean, que si nous avons encore longtemps à vivre, nous nous retrouverons". Il lui annonce que Léa, sa sœur, doit aller passer quelques jours à Paris "cela te fera plaisir de vous retrouver car toujours seul, ce n'est pas gai." Guy (son neveu) va en classe à Caunettes et est très content de sa nouvelle maîtresse.

 

 

 

*

 

 

 

            Caunettes le 10. 11. 39

 

 

 

            Cher ami,

 

 

 

            Je viens faire réponse à ta lettre qui nous a fait grand plaisir à toute la famille.

 

            Que te dirêge du patelain de Caunettes, que c'est un peux môche sur tout le Dimanche. On na pas le courage de sy promener, cela est bien triste, il faut esper'ait que cela finise bientôt pour se revoir ensemble.

 

            Aujourd'ui nous avons Hut des nouvelle d'Antoine, il lui tarde de venir en permision, il n'est pas le seul qu'il lui tarde, c'est à vous tous.

 

            Heugène aussi a écrit il y a quatre jours, il est 8 kilomètre de la ligne Maginot. Paul nous a fait passé de ses nouvelle, il n'a pas l'air de sans faire malgrée qui soit en guerre il vaut mieux commesa.

 

            Le Jour de la Toussain avec Marcelle et Madeleine nous avont parlé de vous autre.

 

            Combien de foit nous y pensont. Que te dirége de plus, pas grand chose pour aujourd'ui, aux moment où je fini ma lettre Georgette est plongée dans la lecture.

 

            Reçois d'une amie ses sincères amitiés. Bonsoir je vais au lit

 

Emma R

 

 

 

            Je joint deux mots à la lettre d'Emma, cela me fait plaisir que tu penses un peut au Caunettoise. Içi on fait du mauvais sens pour les pauvres soldats mes que veux tu, il faut prendre les choses comme le Bon Dieu nous l'envoie, aussi toutes les prières vont vers eux. Angèle vat bien. Pour les vendanges elle me demandez si nous ne savions pas ton adresse. Quand je lui écrirez je lui transmettrez de tes nouvelles. Emile a un travail fou, aussi il a un peut la colère. Maintenant nous somes entrain de presurer mais ce n'est pas bien agréable. Que veux tu rien que des femmes. Pour la nouvelle institutrice elle est bien gentille, ainsi que sont frère. Je pense qu'il vaudrez mieux que ce soit vous autres que vous soyez là pour lui faire la cour ainsi qua celle de Maironnes. Au moment où je termine la lettre il pleut. Reçois d'une qui ne t'oublie pas ses meilleurs souvenirs

 

Georgette

 

 *

 

             Perpignan 13. II. 39

 

 

 

            Bien cher Camille

 

 

 

            Nous avons reçu ta lettre hier. Inutile de te dire avec quel plaisir nous l'avons lue. D'abord de voir que tu es en bonne santé, pour l'instant c'est le principal. Nous sommes très heureux que tu aies reçu le mandat de 50 F. En même temps que ta lettre nous en recevons une de chez toi, nous racontant un peu la vie du pays. Ils ont fini de vendanger et de pressurer, avec l'aide de quelques hommes. Je crois bien qu'ils ont du venir à bout de tout ce travail péniblement, mais avec un peu de bonne volonté de la part de chacun on arrive à tout.

 

            La correspondance arrive régulièrement maintenant, et nous ne doutons pas avec quel plaisir vous attendez les nouvelles de tous les parents et des amis. Tu dis que tu n'es pas trop mal. Naturellement ce n'est pas la maison. Mais à côté des souffrances qu'endurent ceux qui veillent dans la tranchée, et par les nuits froides, humides, et peut-être de la neige, on n'ose pas se plaindre. On a toujours le ferme espoir que quelque chose d'inattendu viendra mettre un terme à cet affreux cauchemar. Continue cher Camille à avoir du courage et de la résignation. Je t'admire moi et tous parce que tout cela ne te manque pas. Tu fais preuve d'un bon Français, soucieux de l'avenir de notre nation, et voulant pour cela contribuer à une victoire finale et définitive. Notre France, avec une armée de soldats d'élite comme vous êtes tous ne peut qu'aspirer à ce noble idéal ; la conservation de la civilisation et l'abolition de la barbarie. Nous à l'arrière, par notre foi inébranlable, notre courage, et notre moral qui ne doit pas faiblir, nous devons, et c'est un devoir pour tous, de vous aider à supporter la destinée qui vous est tracée. Nous prions avec ferveur, et crois Cher Camille que ce sont les forces spirituelles qui nous soutiennent et qui font que bien souvent, au lieu de faiblir, nous nous sentons plus forts. Quant à toi, crois-moi, conserve la foi de tes parents qu'ils t'ont léguée, et qui fait que malgré la terrible séparation, et le souci de te savoir si loin, tout cela les aide à supporter avec plus de force cette épreuve si douloureuse. Nous sommes forts, vaillants et courageux parce que la France est un pays où l'on prie et tu peux être assuré que tu n'es pas oublié. Tu me diras que tout cela ne t'intéresse pas trop. C'est peut-être vrai mais il me semble te faire beaucoup de bien de te le dire. Et aussi parce que je sais que tu es résigné et capable de faire ton devoir.

 

            Içi nous allons tous bien, et pour tous c'est le même travail. Nous avons un temps magnifique pour la saison.

 

            Le cousin Armand qui est cantonné içi à côté de Perpignan nous a écrit hier. Il nous dit qu'ils comptent partir bientôt mais il ne sait où ni quand.

 

            Si tu as besoin d'un passe-montagne, chaussettes, cache-nez, dis-le, nous t'en tricoterons, ce sera avec plaisir que nous le ferons. Ta mère nous a dit que Léa doit partir pour Paris prendre des affets d'hiver. Guy va à l'école à Caunettes.

 

            Je crois bien que tu dois attendre la permission avec impatience, mais ça viendra, va, ne te décourages pas. D'après ce que dit ta mère, l'oncle Ternins aurait quitté Paris, mais on ne sait où ils sont allés.

 

            Jusqu'içi la capitale n'a pas été trop agitée, espérons qu'il en sera ainsi jusqu'à la fin. Quoique avec ce fou [Hitler. La scriptrice croit, comme pendant la guerre de 14-18, à des bombardements de Paris par les Allemands]  on ne peut s'y fier. Ce que nous souhaitons tous, c'est que le châtiment qu'il mérite ne se fasse pas trop attendre.

 

            Je vais terminer cher cousin en te disant d'écrire aussi souvent que tu le pourras. Ne serait-ce qu'une simple carte ça fait toujours plaisir et ça contente.

 

            Tant que tu es un peu à l'arrière soignes toi autant que tu le pourras et passe ton temps aussi bien que possible.

 

            En attendant le plaisir de te relire, reçois cher Camille de nous quatre nos meilleures embrassades

 

Laure

 

 

 

Je prie Dieu pour qu'il vous protège et qu'il guide vos pas dans la route qu'il vous a tracée, avec son aide nous triompherons.

 

 

 

*

 

 

 

            12 Novembre 1939 (au dos d'une carte postale) St Laurent de la Cabrerisse.

 

 

 

            Monsieur, Vous allez être surpris d'avoir des nouvelles d'une inconnue. Je viens tout simplement vous dire que au nom du patronnage, je vous ai fait partir un colis, contenant une paire de chaussettes et un chandail, que vous voudrez bien recevoir avec plaisir. Si dans votre régiment vous connaissez des soldats besogneux, adressez les à : Melle Mary Jane Maurin à Saint Laurent de la Cabrerisse (Aude).

 

 

 

*

 

 

 

 

            S.P. 211 le 12. II. 39

 

 

 

            Bien chers parents,

 

 

 

            Je viens en deux mots répondre à la lettre de Léa, qui m'a trouvé en bonne santé, content qu'il en soit de même pour vous. Au moment où vous m'avez écrit vous étiez en famille, cela me fait plaisir, de même que le pressurage soit fini. Vous parlez maintenant de semer le Pla-de-Beau, il doit faire plus beau qu'içi, car il pleut tous les jours. Au reçu de ma lettre peut-être Léa sera à Paris, pour moi je regrette beaucoup mais il m'est impossible d'y aller, même en 24 heures.

 

            Vous me dites que vous avez l'allocation mais combien touchez vous ni même si on vous a payé le retard. J'espère que vous m'en dirais plus longuement sur votre prochaine à ce sujet. Maintenant que vous raconter de bien intéressant. Les nouvelles d'içi ne peuvent guère vous charmer. Toujours la même vie. Il est fort probable que nous fassions un déplacement ces jours-ci, mais rien de sur pour le moment. Ne vous faites pas de souci à ce sujet, je vous tiendrez au courant de plus prés. J'ai reçu une lettre de Paul me disant qu'ils leur parlent de partir aussi en Syrie ou en Turquie, ils leur ont changé le secteur. Dans le cas où il ne l'aurai pas dit à Caunettes n'en dites rien à personne, si c'est vrai ils le sauront bien. Quant à Louis je n'en sait plus rien depuis le début. Antoine m'écrit très souvent, il est prés, mais je n'ai put le voir.

 

            J'ai reçu une longue lettre de Suzette il y a quelques jours. Théodore est en convalescence mais ne sait pour combien de temps. Suzette me dit qu'ils iront peut-être vous voir, mais rien de sur. Guillaume aussi a eut 21 jours. Je comprend cela, car ceux qui sont encore dans les dépôt y sont tous allés. Ten mieux pour eux.... Donnez un bonjour aux voisins et Julie. Bons baisers à vous tous sans oublier Georgette si elles sont encore là.

 

            Votre fils frère et oncle

 

Camille

 

 

*

 

             Font-de-Razouls le 14. II. 39 au soir.

 

 

 

            Cher cousin,

 

 

 

            C'est pendant cette veillée de ce mercredi soir, alorsque toute la petite famille est au lit, je viens te donner de nos nouvelles, surtout répondre à ta lettre qui nous a fait très grand plaisir d'avoir de tes bonnes nouvelles et de te savoir en bonne santé.

 

            Pour nous içi nous allons bien ainsi que Théodore qui est encore parmi nous jusqu'à lundi prochain, 21 jours içi sont vite passés tous ensemble.

 

            Par içi tu sais ce coin de montagne il commence à ne pas faire trop chaud, ce soir il a plut quelque chose, j'ai été obligée de quitter mon travail car j'étais aux Eclauzes que je labourais pour du blé, mais si ce temps continue nous ne pourrons rien faire pas seulement finir de semer et l'an prochain une belle misère qui va commencer un de ces quetres matins.

 

            Et toi pauvre que faitus ? Toujours pareil dans cette vie toujours le même boulot, heureusement que vous pouvez faire d'assez bons repas.

 

            Nous voulions aller faire une visite chez toi avant que Théodore reparte, je vois bien qu'il faudras y renoncer car nous avons l'auto en réparation à Limoux et nous devons aller la chercher rien que samedi ou dimanche prochain, et comme Théodore repart lundi, nous ne pourrons y aller. Notre visite qui surrement lui aurait fait bien plaisir sera remise à plus tard. Tu sais pauvre Camille quand quelque chose va mal tout sans suit.

 

            Rien de nouveau dans le cher pays, pour te racconter les nouvelles sont petites.

 

            Nous avons 15 petits agneaux, toujours du travail nouveau pour nous il nous faut bien des distractions comme on les trouve maintenant, au lieu de penser à rire, d'autres soucis (pour moi tu sais malgré tout cela je ne m'en fais pas trop, car pour me consoler j'écris au bon ami qu'il faut attendre quelque temps de plus, et toi aussi j'espère que la correspondance doit aussi ronfler).

 

            Que je te parle un peut des nôtres. Adrien est aux environs de Nancy, il est facteur au vaguemestre. Louis est toujours à Castres et s'attend à partir d'un moment à l'autre.

 

            Joachim aussi était dans le Var, et ces jours ci il a déménagé, il est actuellement à Grenoble mais ne croit pas y rester bien longtemps.

 

            Aimé et Etienne eux ne savent encore rien pour partir mais peut-être sa ne vas pas tarder.

 

            Enfin il faut avoir beaucoup de courage pour supporter tout cela et espérons que cela finisse au plus vite pour reprendre la vie normale.

 

            Si là où tu es il fait mauvais, de la pluie comme içi, je te plains beaucoup, dans la boue comme tu dis. Fais de bons repas tant que tu pouras et pense à bien garnir la musette et n'aplati pas trop le portefeuille, pense à l'économie. Cher cousin cela pour rire ou plutôt te chasser un moment le cafard ci en ce moment ci tu las un peut, car tu penses bien que cela ne me fais rien pour moi va si toujours et vise bien le bouchon Léon ?... et zou...

 

            Laure est toujours à Durban où elle continue son petit commerce et je t'assure qu'elle a une petite très dégourdie et qui n'a pas la langue à la poche, aussi c'est une bonne distraction pour elle. Oui Françiman nous avons une institutrice de Narbonne, jeune, 21 ans, c'est dommage que le cousin Théo ne soit pas là, sans cela guare comme Melle Labeaute.

 

            J'espère que tu vas être content de ma lettre, car je fais tout ce que je peux pour te la faire longue, tu languiras moins pendant que tu liras cela.

 

            Il est 10 h. passés toute la maison est bien tranquille en attendant qu'à mon tour j'aille au lit. Ce qui après avoir faites quelques lettres ne va pas tarder.

 

            Es tu avec des gens du pays chez toi ou par içi, là haut pour pouvoir un peu discuter. Es tu toujours avec Cros de Viviés, on nous avait dit qu'il y avait Clément avec toi, esse vrai ?

 

Je vais finir pour ce soir, en attendant toujours avec plaisir de tes bonnes nouvelles je te souhaite une bonne santé et beaucoup de courage en espérant toujours la fin de tout cela, chose que nous attendons pour notre part avec impatience.

 

            Tante t'embrasse bien fort ainsi que Théodore.

 

            Ta cousine qui pense à toi et t'envoie ses plus doux baisers. Bonsoir et bonne nuit

 

 

 

Suzette

 

*

 

            S.P. 5169 le 14 Novembre 1939

 

 

 

            Bien cher cousin,

 

 

 

            C'est après la soupe du soir que je viens te donner de mes bonnes nouvelles. J'avais bien souvent pensé à toi à t'écrire mais je ne savais pas ton adresse, c'est Lucette qui m'a écrit hier, et me la donnée, aussi c'est avec empressement que je viens faire un petit brin de causette avec toi. Laisse moi te dire d'abord que la vie en campagne ne m'a pas encore trop éprouvé. J'ai été appellé avec le N°5 huit jours avant la mobilisation générale au 155e centre mobilisateur à Tarascon, là nous y sommes restés huit jours, et ensuite on nous a dirigé dans la zone des armées, où nous sommes depuis déjà prés de trois mois.

 

            On attend les évènements avec confiance et courage, espérant en des jours meilleurs que l'avenir nous réserve sûrement.

 

            Le moral est excellent entre soldats, les liens de camaraderie qui se créent y contribuent pour une large part à maintenir une atmosphère d'obliminne. Il est cependant malheureux, vingt ans après la dernière tourmante d'être obligés de reprendre les armes. Mais puisque c'e notre tour de défendre la liberté, nous le ferons avec courage afin de nous montrer dignes de nos anciens.

 

            Il faut espérer en la victoire finale, nous la mériterons par nos peines et nos sacrifices. Non seulement nous, mais aussi ceux de l'arrière qui sont de cœur avec les soldats de l'avant.

 

            Souhaitons que cette guerre sera courte, et que les deui qu'elle ne manquera pas de provoquer seront aussi moins nombreux que possible.

 

            En attendant les jours que l'on passe sont bien durs, et il arrive quelquefois d'avoir quelques petites pointes de cafard, heureusement que le thermomètre remonte par de bonnes nouvelles de l’arrière.

 

            J'ai régulièrement des nouvelles de la maison, tout le monde va bien, malgré le grand travail qu'ils ont, et le souci de nous savoir loin et en danger, on comprend que c'est encore plus dur pour les parents que tous nous avons laissés à la maison et moralement ils sont plus à plaindre que nous, mais que veux tu il faut avoir confiance et bon espoir de nous retrouver tous bientôt au pays. Je comprends que ce ne doit pas être très comode pour toi aussi d'être obligés d'être les uns d'un côté les autres de l'autre, mais que veux tu il ne peut en être autrement, c'est encore une consolation quand on c'est qu'on n'est pas chez des étrangers, et je suis sur que l'oncle et tante doivent être heureux d'avoir Léa et les petits. Je suis encore bien plus content moi, de savoir Guy à Caunettes, je t'assure que papa me dit qu'il lui tient bien compagnie le soir, il lui raconte quelques histoires, et est surtout bien gentil.

 

            J'ai des bonnes nouvelles à Camille, nous nous écrivons souvent, sa fait plaisir entre poilus de recevoir quelques lettres, et on attend le vaguemestre avec impatience, d'ailleurs tu le sais avant moi. Nous ne nous en faisons pas. Quand même si tu nous voyais en ce moment ci on ne se dirait pas en guerre, nous sommes 8, il y en a 7 qui font une bourre, pendant que moi j'écris. Inutile de te dire que nous n'avons pas oublié de faire remplir les bidons et temps en temps on vidange dans les cart. Pourvu qu'il y ait du pinart c'est l'essentiel, c'est ce qui gagne la guerre.

 

            Je ne vois pas grand chose plus à te raconter, je t'embrasse de loin bien affectueusement

 

 

 

Paul Bernède

 

10e Bataillon de Mitrailleurs

 

1ère Compagnie, 3e Section

 

Secteur Postal 5169.

 

 

 

*

 

             Secteur Postal 211. 18. II. 39. Camille à ses parents.

 

 

 

            ... Que vous dire si ce n'est que la vie reste calme. Sur ma dernière je vous disais que nous étions en état d'alerte sur le point de départ. Il n'en est rien du tout, tout a repris sa marche normale enfin pour le moment le coup a échoué, et heureusement.

 

            Suis très content que vous ayez fini de pressurer avec beaucoup de peine je n'en doute pas mais encore heureux que vous ayez put avoir Georges une paire de jours. Vous dites que cette année à Lagrasse ils vous paieront le marc, c'est sûrement par honte, car c'est la cinquième année qu'ils ne l'ont pas payé. Pour si peu qu'on vous donne, ce sera toujours pour le temps de le charier. L'allocation est enfin arrivée, tant mieux, mais je ne pensais que vous touchiez tant que ça. Il y en a içi qui avec un enfant ne touche guère plus. Enfin vous pouvez remercier Mr Castet. Quant à Madrennes je ne peux le voir, car il est loin, nous ne sommes pas dans le même département. Je n'ai pas vu non plus Antoine de Caunettes qui lui n'est pas loin, mais ces temps derniers, comme je vous dis au début de la lettre, nous n'étions pas libres.

 

            J'ai reçu une lettre de Georges de Montlaur qu'il a faite sitôt arrivé de la maison de pressurer. Les Sibade sont toujours sans cheval et devez leur faire souvent des corvées, ma foi entre voisins faite de votre mieux, on doit passer sur bien des choses.

 

            En même temps que la votre je reçois une lettre de Laure de Perpignan. Réellement ils sont bien gentils pour moi, je reçois souvent de sa part des lettres tout à fait affectueuses. Au moment où j'écris il est 9 heures du soir. Je suis presque seul dans la chambre, les écuries sont à côté, il y a un cheval malade et j'entends que sa gueule fort, surtou les gradés, mais moi je m'en fou, ce n'est pas mon rayon.

 

            Donc Paul est logé dans une ferme qui est à Nice de St Pierre. S'il lui donne la clef il peut s'estimer heureux, mais tant mieux pour lui. Je reçois souvent de ses nouvelles...

 

 *

 

 

 

            Des armées le 24. II. 39. Camille à ses parents.

 

 

 

            ... Sur ma dernière, je vous ai parlé du déplacement ; eh bien il y a eut contr'ordre et n'avons pas bougé. Maintenant nous n'en savons plus rien. Tant que nous serons içi cela ira bien. Les premiers départs en permission ont commencé, mais cela ira bien doucement, car il en part peu à la fois. Je ne peut vous dire la date à laquelle j'irai. C'est fort possible que René y aille. Non, pour l'instant elles ne sont pas supprimées.

 

            Vous dites que les Sibade vont charier le vin à Caunettes, mais qu'ils ne l'ont pas vendu, comment se fait-il qu'ils ne le vende pas. Sûrement il doit être trop bon, tâchez moyen de ne pas vous faire mal, en faisant ce travail. N'avez vous pas fait peser le notre ?

 

            D’après le récit de votre lettre il ne fait pas beau là bas non plus. Je vous assure qu'içi c'est dégoûtant. Il pleut toujours et voilà deux jours que la température a subitement changé, nous avons eut deux fortes gelées blanches. Ce matin la glace avait sur l'eau un bon centimètre d'épaisseur, à part cela la vie continue normalement. Antoine m'a écrit, il est prés de moi. Lui a vu Julien, le mari de Rose de Caunettes, mais moi je n'ai put en voir aucun.

 

            J'ai reçu hier une lettre de Jean qui va bien. Il me dit attendre Léa tous les jours. Je pensai bien qu'elle était déjà venue. Vous avez eu la visite de l'oncle de Caunettes et avez bien fait de ne pas y parler de Paul au sujet du départ, car il m'a écrit depuis. Et tout comme nous ce fut un faux mouvement. Ten mieux pour lui. En même temps que la votre, je reçois une carte de Suzanne qu'elle a fait en classe. Je lui avais écrit il y a une paire de jours. Suzette de Font de Razouls m'écrit souvent. Théodore est reparti de sax convalescence, ils n'ont pu aller vous voir car ils ont l'auto à Limoux à réparer. Ceux de Perpignan aussi sont très fervents pour écrire.

 

            Au moment où j'écris il est 9 heures du soir. Il y en a pas mal comme moi qui écrivent aussi, d'autres sont déjà couchés. Le copain de St Laurent arrive de corvée avec ses chevaux. Il est parti à 4 h. et se plaint surtout de ne pas avoir eut trop chaud. Il est maintenant en train de faire la causette avec Cros de Viviés et je vais les rejoindre puisque nous couchons tous 3 à coté....

 

*

 

 

 

            Des armées le 26. II. 39. Camille à ses parents.

 

 

 

            ... Que vous raconter de nouveau pas grand chose. Léa me dit que je pourrai vous détailler plus emplement ma vie quotidienne. Que voulez vous que je vous dise nous ne faisons presque rien. D'autant plus que tous les jours il pleut et ne pouvons sortir dehors, nous faisons de temps en temps instruction au canon. Au moment où vous recevrez ma lettre Léa sera surement à Paris puisqu'elle devait partir Samedi. Cela lui fera plaisir de se retrouver en famille. Les Sibade doivent avoir fini de charier le vin et peut être vous avez semé le Pla de Breau s'il a fait beau. Enfin je suis content des nouvelles du pays. Mais pour mon compte je ne peux vous en raconter autant, car vous ne connaissez pas ce parage. Par içi les propriétaires ne font pas comme chez nous, ils travaillent toujour qu'il pleuve, qu'il vente, le terrain veut ça.

 

            Le bois dont vous me parlé qui était à côté de la vigne de l'oncle, je n'avais pas pensé à vous le dire, quoiqu'il était en vue ; enfin vous l'avez trouvé c'est l'essentiel. D'ailleurs l'oncle le savait et vous en aurait averti, si vous l'aviez oublié. Que voulez vous semer au champ de devant la porte ? J'ai été très frappé en apprenant la mort de Marignal de Lagrasse, son fils doit être parti et voilà encore une famille en peine, il y en a bien pour tous.

 

            J'ai de bonnes nouvelles d'Antoine, je savais le nom du village, où il a rencontré Julien, ce n'est pas bien loin d'içi, mais on ne les a pas vus. Au moment où j'écris c'est dimanche et pour ne pas changer il pleut comme c'est la mode.

 

            Sur ma dernière lettre je vous ai dit que le déplacement que je vous avez annoncé il y a quelques temps a complètement échoué, nous sommes toujours au même endroit et ne pensons pas partir de si tôt. Peut être y passerons nous l'hiver.

 

            Ont-ils payé les chevaux de la réquisition bien cher et René est-il venu souvent en 24 heures. A Caunettes Alban Biscans et Albert Pérrouty n'ont-ils pas été démobilisés, car ce sont des classes anciennes. Hier j'ai reçu une lettre de Marcellin me disant que sa belle-mère et Héliane sont à St Pierre, faute d'institutrice à St Martin. Que fait Clémentine ? .....

 

 

 

*

 

             Font-de-Razouls le 27. II. 39 au soir. Suzette à Camille.

 

 

 

            Cher cousin,

 

 

 

            Me voici à nouveau un petit moment à coté de toi, pour t’empêcher d'avoir le cafard si parfois cette mauvaise graine se promène chez toi (toujours content). Que je te demande tout d'abord comment va ta santé. J'espère bien, du moins je le souhaite. Pour nous il en est aussi à merveille, et faut espérer que cela va continuer. Voilà que Théodore n’est plus parmi nous depuis lundi dernier et nous a écrit aujourd'hui de Montpellier, ils doivent aussi sens aller je ne sais trop où, mais à ce qu'on lui a dit du côté de l'Est, et cela tu peux le croire ne nous fait pas trop plaisir, enfin il faut espérer que tout cela ne soit rien et que bientôt nous n'ayons plus cette mauvaise idée qui nous poursuive.

 

            Par içi, tu sais, rien de bien rare, car réellement le pays était bien moche et à présent inutile de te dire qu'on ne peut plus en parler car vois tu les jeunes nous sommes bien malheureux (toi compris).

 

            Marius du Gélis est en perme de 10 jours, il est arrivé hier soir dimanche, c'est le seul pour le moment qui soit venu de si loin ?

 

            Je vais t'annoncer que l'oncle Sarda de Thézan c'est coupé un bras au dessus du poigné, mais il va bien mieux car le Docteur le lui arrangé dessuite et bien entendu il faut qu'il le laisse quelque temps à l'écharpe, peut-être que tu le sais déjà, mais enfin. Sur ta prochaine lettre tu me diras où est mobilisé Jean Monié de Paris, le fameux cousin. Et en même temps quand tu écriras à ton cousin Paul donne lui le bonjour de ma part. Je viens aussi de faire une lettre à Théodore, après la tienne une à Adrien, travail de patience qui bien souvent me fait attraper un peu de nerf. Si chez toi là-haut il pleut tous les jours, içi de temps en temps il fait assez beau. Aujourd'hui un bon soleil heureusement pour venir nous réchauffer un peut, aussi ce soir nous en avons profité pour semer un peut de blé, car vois-tu à présent il faut faire un peut de tout de cuisinière il faut passer au labour - puis semeuse, ainsi je saurais tout faire à l'avenir et... (as comprés). Au moins ne dit pas ceci à personne car on se demanderai si je ne suis pas un peut toquée. Je vais te dire aussi que Louis a quitté Castres, il est maintenant à 4 km à Lavitarelle pour quelques temps de plus. Adrien est toujours dans la Moselle du côté de Metz. Quant à Joachim voilà quinze jours qu'il ne nous a pas écrit et il était alors à Grenoble, je ne sais pas, nous attendons tous les jours de ses nouvelles, il est avec un de Tournissan, de Talairan et de Cépia.

 

            Les belles-sœurs sont chacune à leur poste, ainsi que Laure qui est toujours à Durban sur son compte, car elle travaille beaucoup depuis qu'Adrien est mobilisé, celle-la se gagne bien la vie.

 

            Inutile de te dire que toute ma petite famille est au lit. Toujours seule à écrire, malgré qu'il ne soit encore que 8 h. mais hier soir nous avons veillé c'était 1 h. quand nous nous sommes couchées, car nous sommes allées à Salagriffe souper. Tu sais Alfred, le frère de Philiberthe s'en va à Pamiers en garnison au 27e, il est parti ce matin ; Noël Maurin de Bouisse s'en va à Auch dans le Gers, et Pierre le frère de Mano que tu connais à la D.C.A. à Lyon.

 

            Malgré tous les regrets que j'ai à te quitter je ne sais que te raconter, dans ma prochaine espérons en avoir du nouveau à te dire, ainsi que toi ; quand tu seras de permission tu me le feras savoir car si j'avais une occasion je voudrais aller te voir car cela me ferait beaucoup de plaisir pouvoir parler un moment de vive voix. Pauvre Camille, car nous n'aurons jamais assez rigolé et quand tu venais par içi nous avions raison d'en profiter et de ne pas s'en faire, car maintenant il a bien fallut tout oublier de notre belle jeunesse au moment du plus d'espoirs tout s'effondre et on dit "tant pis, à la prochaine ça ira mieux". Encore mieux. Enfin je finis en te disant de bien soigner ton rhume pour qu'il ne te laisse pas comme cela et de ne pas souffrir tant que tu pourra surtout du froid. Aie beaucoup de courage et ne te fais pas de soucis car tu n'y fais rien.

 

            En attendant reçois de toute la famille nos meilleurs baisers.

 

            Une grosse embrassade de ta cousine qui ne t'oublie pas : à bientôt de tes bonnes nouvelles

 

Suzette

 

 

 

*

 

 

            Perpignan 29 Novembre 1939

 

 

 

            Bien cher Camille

 

 

 

            Inutile de te dire le grand plaisir que nous avons quand nous recevons de tes bonnes nouvelles, aussi on ne peut pas tarder à te répondre et te féliciter en même temps pour le grand courage et la résignation dont tu fait preuve. On reconnait là le vrai « français ». Oui ! Il faut en avoir du courage pour supporter cette épreuve que nous n’avions pas voulu et qui malgré tout nous a été imposée. Nous içi tous à l'arrière on souffre moralement de vous savoir tous exposés sinon au danger pour l'instant mais à toutes rigueurs du temps. Monter la garde quelques fois, et cela est. Mais une force surhumaine vous anime et nous donne cet espoir de penser que malgré tous les obstacles qui peuvent se dresser contre nous, le soldat français, avec son sang-froid, son abnégation, son courage saura les briser quels qu'ils soient, - et avoir raison de la barbarie et de la tyranie qui voudrait s'implanter chez nous.

 

            Continue ainsi, vis bien avec tes camarades, aidez-vous les uns les autres, ça fait supporter plus légèrement le sacrifice si lourd de chacun.

 

            Quoique la permission soit encore éloignée, sois patient, elle viendra peut-être plus tôt que ce que tu crois.

 

            Je ne sais si tu l'as su : l'oncle Louis de Thézan s'est fracturé un bras en déchargeant un veau. On a du le plâtrer. Mais il faut le temps pour s'arranger.

 

            Pas grandes nouvelles à t'apprendre, il fait beau içi, belles journées ensoleillées, mais d'après ce que nous voyons, par là haut il n'en est pas ainsi.

 

            Les cousins de Font de Razouls nous n'en savons rien, nous avons écrit à tous il y a quelques temps, dés que nous avons eu leurs adresses. Ils n'ont pas répondu sauf Adrien de Durban qui a écrit de suite.

 

            Je vais finir ma lettre en te souhaitant bonne santé, bon courage toujours et en attendant d'autres nouvelles nous t'embrassons tous les quatre

 

Laure

 

*

 

             M… le 1/7/40

 

 

 

            Agence Croix-Rouge

 

 

 

            Prière nous donner renseignements au sujet du soldat Camille B... 115e R.A.L.H. 10e Batterie 4e Groupe secteur 211 n'ayant pas de nouvelles depuis un mois. Agréez, Monsieur, mes salutations

 

Adresse de la famille : Vve Marie B... à M... par Lagrasse Aude France.

 

 

 

A M. le Facteur qui dessert la localité de Joncquières par St Laurent (Aude) prière de remettre à la famille du soldat du 115e R.A.L.H. actuellement prisonnier.

 

            Mercredi 3 Juillet 1940

 

 

 

            Bien cher Camille,

 

 

 

            Je viens par un moment de repos te faire savoir de nos nouvelles, ayant déjà longtemps qu'on n'en a pas et on a hâte de savoir ta santé.

 

            Jean de Paris était en ce moment içi avec nous pour 4 jours car crois-tu qu'il est à Lézignan à la gare avec Eloi de St Pierre ? inutile de te dire pour quel motif. Ils vont tous bien.

 

            Que te dire ? Qu'en ce moment nous sommes obligés de moissoner le premier jour. Les vignes sont assez jolies, avec espoir que tu viendras surement nous voir. Nous recevons une lettre de Georges qui est toujours à Carcassonne et va bien. Tous les parents envoyés vont bien. Firmin ton oncle et toute sa famille sont à Thézan depuis quinze jours.

 

            Içi toute la maison se joint à moi pour te bien embrasser et au revoir sous peu.

 

            Baisers Camille et courage, et au plaisir sous peu de se revoir en bonne santé. Embrassades de nous tous

 

Marie B...

 

 

 

*

 

 

            Castres, le 5 - 7 - 40.

 

 

 

            XVIe Région   

 

            Place de Castres

 

            Dépôt d'Artillerie n° 16

 

 

 

            Le Commandant du Dépôt d'Artillerie n° 16 à Madame Veuve Marie B... à M.... par Lagrasse(Aude)

 

 

 

            Comme suite à votre demande de renseignements, j'ai le regret de vous faire connaître que je ne puis vous donner aucune nouvelle du soldat B... Camille.

 

            Néanmoins, je ne saurais trop vous engager à envisager avec calme une situation angoissante certes, mais qui, vu les circonstances [la suite manque].

 

 

 

*

 

             St Laurent de la Cabrerisse le 19 Juillet 1940

 

 

 

            Chère Madame,

 

 

 

            Je m'empresse de vous répondre à votre lettre que j'ai reçu aujourd'hui même. Pauvre dame je suis toujours sans nouvelles de mon mari et vous pouvez croire que maintenant on ne vit plus. 50 jours sans rien savoir c'est terrible et Mme Sarda est au même point que nous autres, elle ne sait rien non plus. J'ai écrit à la Croix-Rouge ainsi qu'à son dépôt à Castres et personne ne m'a encore répondu, et vous pouvez croire qu'on y tient plus. Malgré ça j'ai au aujourd'hui même par un soldat qui était avec eux : il a écrit à sa femme et lui dit qu'ils ont été pris prisonniers le 4 Juin à Malo-les-Bains près de Dunkerque, et qu'ils seraient internés à Lille et qu'ils étaient tous ensemble, mais ce garçon n'est pas de chez moi, on me l'a dit, et vous comprenez que tout cela est su indirectement. Je vous dis ce que je sais. Si cela était vrai, malgré que ce soit embêtant qu'ils soient prisonniers, on a tout de même un peu d'espoir, car on se dit qu'un jour on a des chances de les revoir, il vaut bien mieux cela que le pire. Mais tant que l'on ne sait rien d'eux-même on n'est pas tranquilles.

 

            En même temps que votre lettre, j'en ai reçu une de Cros d'Arques, en me disant qu'il les avait laissés à Dunkerque le 1er Juin et lui a été bléssé ce jour même et évacué en Angleterre, et il m'écrit aujourd'hui d’Angleterre pour me demander si nous savons quelque chose, et que si oui je leur donne mon adresse et qu'il lui écrirait. Il a été bien gentil le pauvre garçon de s'intéresser à eux, car il me dit qu'ils étaient bien camarades avec votre fils et mon mari. Vous me dites que vous êtes sans courage entre une chose et l'autre, je le crois car c'est la même chose pour moi. On ne tient plus à cette vie, il faut toujours attendre avec patience et voir ce que nous réservera l'avenir. En attendant de vous écrire sous peu si je reçois quelque chose, recevez chère Madame mes meilleurs sentiments, embrassez vos enfants pour moi, le bonjour à votre fille, à bientôt Madame je vous quitte pour cette fois-ci et courage

 

Mme R.

 

 

 

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