Monsieur de Bardy,
Conseiller au Parlement de Toulouse
Par Jean Escande
CHANSONS CONTRE LE PARLEMENT DE TOULOUSE 1771.
Une lettre et deux chansons... Voilà tout ce que j'ai retrouvé de la destinée d'un haut et puissant personnage du XVIIIe siècle, M. de Bardy, conseiller au parlement de Toulouse. On sait que les Parlements provinciaux, depuis la Fronde, se prenaient facilement pour des "Catons", des "Brutus" face à l'absolutisme royal... ce qui ne les empêchait nullement d'empocher de très substantiels pots-de-vin de plaideurs riches et avisés, car ces Parlements devaient, en partie, rendre la Justice.
Leur réputation de républicanisme venait seulement du fait qu'ils s'opposaient systématiquement à toute innovation royale, même bénéfique (surtout bénéfique). Se cantonnant dans le rôle confortable d'opposition permanente, les Parlements de provinces avaient le beau rôle que se donnent de nos jours certains partis avancés (comme le fromage) : ils censuraient, ils rejetaient, ils tempêtaient... c'était un amas de belles consciences inemployées dont la résistance à toute innovation salutaire mena droit le pays à la Révolution et à ses vingt-cinq ans de guerre.
Pour la justice, ces corps de magistrats trublions, qui avaient acheté leurs charges, la rendaient comme ils l'entendaient : on le vit à l'affaire Sirven (brûlé) Calas (pendu)...
Bref ils étaient la quintessence de ce que l'Ancien Régime avait créé de purs privilégiés, au même titre que les Fermiers Généraux. Après la célèbre affaire Calas, qui discrédita le Parlement de Toulouse, un des parlementaires, pour s'excuser de la condamnation à mort de Calas, dit à Versailles à Louis XV :
- Sire, il n'est si bon cheval qui ne bronche...
- Un cheval, passe ! Mais toute une écurie...
M. de Bardy, auquel écrit, de Castres, en 1768, son ami M. l'Avesquat (qui porte un curieux nom, car en occitan il signifie M. l'Evêché) est le type même de ces "parlementaires" privilégiés que balaiera la Révolution, beaucoup moins endurante que la Royauté. Il faut souligner d’ailleurs que M. de Bardy resta toute sa vie un loyal sujet du Roi, même si la chanson lui reproche son goût de la vénalité. La lettre elle-même est symptomatique : il s'agit de conforter M. de Bardy à garder pour lui son très juteux office de Conseiller de Grand Chambre au Parlement de Toulouse, quitte à en acheter un autre pour son fils unique et chéri, Jean-Jacques-Catherine, qu'il a eu de Madame de Bardy, née de Campistron. Notez que le même fils chéri est conseiller au même Parlement de Toulouse depuis le mois de Juillet de l'année précédente, 1767...
Jacques de Bardy, le père, né en 1709 à Montpellier d'une famille noble, n'était pas de ces parlementaires richement prébendés, qui, comme Malesherbes et tant d'autres, scièrent tout le long du XVIIIe siècle la branche sur laquelle ils étaient solidement assis, jusqu'à faire, par leur faute, le saut dans le panier du Docteur Guillotin... En 1771, les Parlements, s'étant rendus définitivement insupportables à la Royauté et à l'opinion publique, le Chancelier de Maupeou (lui-même premier président du Parlement de Paris) les fit dissoudre. A cette occasion, M. de Bardy montra sa loyauté au Roi : "il accepta de faire partie du Grand Bailliage et fut désigné par la suite, et à plusieurs reprises, pour aller présenter au roi les vœux et les doléances de la province de Languedoc. Vers 1780 il passa de la Grand Chambre à la Chambre des Vacations, dont il devint doyen" (1).
Bardy est donc un fidèle serviteur de la Royauté, et la chanson malveillante et drôle, qui, cette même année 1771, lui fait faire un duo avec M. de Niquet, premier président au Parlement de Toulouse (2), est mauvaise prophétesse, car loin de perdre "le manteau, le mortier et ses mille écus" cet inconditionnel continua paisiblement une très belle carrière... Il dut d'ailleurs à sa fidélité d'être la victime de la Révolution. "Lorsque fut communiqué le décret de l'Assemblée Nationale du 16 Août 1790 qui supprimait les cours provinciales, M. de Bardy signa la protestation du 25 septembre, qui déniait aux anciens députés aux Etats-Généraux le droit de modifier le statut traditionnel de la France" (3). Il jugea quand même (à 81 ans...) plus prudent d'émigrer en Espagne avec ses collègues de la même opinion. "Compris dans l'amnistie du 15 septembre 1791, il rentra en France et se retira dans sa terre de Lanségue, près d'Aussonne, où il demeura caché pendant deux ans."
Il aurait mieux fait de ne pas rentrer : la République avait la haine tenace. "Arrêté le 20 mars 1794, comme ancien parlementaire, il fut acheminé sur Paris le 7 Juin". A l'époque, on savait ce que cela voulait dire : Bardy fut condamné à mort et guillotiné le 6 Juillet 1794. Il avait 85 ans.
S'il avait pu attendre jusqu'à la fin du mois, Robespierre y passait à son tour et les gens du genre de Bardy étaient sauvés.
Quant à son fils, émigré en Angleterre, il jugea prudent de ne pas rentrer, et il fit bien...
*
Comme la première, la seconde chanson est antérieure au 11 Novembre 1771 : la Saint Martin, ce qui parut drôle à l'époque, parce que la Saint Martin était le jour où l'on renouvelait les baux de fermage ou de location... En chassant les Parlements rebelles (et imbéciles) Louis XV et Maupeou ont donc l'air de leur donner leur congé, comme à des locataires récalcitrants. IIs n'avaient que ce qu’ils méritaient. Voici comment s'exprime le chancelier de Maupeou lui-même sur cette réforme essentielle : "La féodalité nouvelle (des Parlements) est brisée ; les juges ne sont plus propriétaires de leurs charges, la justice est gratuite..." Tout ce qui nous parait normal de nos jours était il y a deux siècles une telle nouveauté que tout le monde s'en étonna, et, ce qu'on oublie trop, c'est que c'est au pouvoir royal que nous devons ces innovations.
A monsieur de Bardi, Conseiller de Grand Chambre au Parlement, rue d'Aussargues à Toulouse.
A Castres le lundi 4 Janvier 1768.
Si je connois vos sentimens pour moi, mon cher cousin, ne connoissés vous pas les miens pour vous ? Et lorsque vous me dites à Castres que vous étiez tout décidé à céder votre office à M. votre fils, n'insistais je point afin que vous conservassiez encore ce même office pour vous, et que vous en louassiez un autre pour ce fils chéri, car c'estoit ce qui me paraissoit se rapporter votre présente situation. Bientôt après vous comptés mieux faire, d'acheter l'office de M. de Boissezon, et vous l'avez acheté.
Mardi ou mercredi, j'eus l'honneur d'aller voir madame de Boissezon qui revenoit de La Bolbéne, et qui me dit que son époux espère venir de Lautrec à Saint Germier. Du depuis je nay point quitté chez moi, pour mieux mitoner un rhume de cerveau que j'ay, mais qui commence à diminuer, et dont Lizette n'est point allarmée. Chacun a ses peines dans cette condition, mon cher cousin : vous avés essuyé deux grandes grelles cette année et moi quoique vivant avec simplicité, je souffre quelquefois de ce que mes débiteurs les plus considérables sont les plus tardifs à me payer, mais que faire ? J'aime encore mieux vivre plus à l'étroit que de régler des fraix.
Chargés vous içi de ma part, mon cher cousin, de bien des respects pour madame de Campistron, et de bien des amitiés pour M. votre fils. (4) Enfin vous connoissés bien mes sentimens pour vous ; confirmés donc avec quel dévouement je suis votre très humble et très obéissant serviteur
L'Avesquat
Recevez encore içy bien des respects, mes souhaits de bonne santé pour vous et pour M. votre fils. On dit le froid excessif içj, hyer et aujourdhuy, car je ne sors pas encore. Dieu ait pitié, surtout des pauvres.
*
Dialogue entre M. de Bardy, président à mortier, et M. de Niquet, premier président au Parlement de Toulouse.
Bardy, sur l'air des "Folies d’Espagne” :
Je viens, Monsieur, plongé dans l'infortune,
Me consoler, ou pleurer avec vous.
De tous côtés on crie, on m'importune,
Dans nos malheurs, quel parti prendrons nous ?
Niquet, sur l'air de "La Barraquette" :
Vivre sans souci,
Faire bonne chère,
Voilà mon amy
Ce qu'il faudra faire, Bon !
La faridonda, la faridondaine, Bon !
La faridonda, la faridondon.
Bardy :
Qu'entends-je, o ciel ? Au fort de la disgrâce,
Un tel discours peut-il être permis ?
Ignorez-vous que bientôt on nous chasse,
Chargés de honte, accablés de mépris ?
Niquet :
Ami, le mépris
Ne me touche guère,
Surtout quand je suis
Avec ma commére, Bon ! etc...
Bardy :
Sur le mépris mes pensées sont les votres,
Mais le manteau, le mortier, mille écus,
Pour les avoir, nous fûmes bons apôtres,
Pour les garder, affectons nos vertus.
Niquet :
Ami, la vertu
N’est qu’une chimère,
Je suis trop connu
Et j’aurais beau faire, bon ! etc...
Bardy :
Pour nos consorts, errants dans la province,
Feignons au moins le plus sincère amour,
Implorons tous la clémence du Prince,
Briguons pour eux, demandons leur retour.
Niquet :
Ah ! Fi du moyen !
C’est d’un téméraire !
Raffin et Daguin
Les ferons-nous taire ? Bon ! etc...
Bardy :
Vous dites vrai, tout est sans espérance,
Mais faudra-t-il perdre enfil mille écus !
Adieu manteau, mortier et présidence
Vains ornements, je ne vous verrai plus.
Niquet :
Pour moi, chez Masson,
Je vole à cette heure,
Vider le flacon.
*
Chanson sur le Parlement de Paris
Le Roy à l’Archevêque :
Après la Saint Martin, mon cousin,
Le Parlement déniche,
Et fait place à l’ancien, mon cousin,
Qui l’envoye faire fiche, mon cousin,
Voilà, mon cousin, l’allure... etc.
Apprenez les raisons, mon cousin,
Qui me le font détruire,
Ce sont tous des fripons, mon cousin,
Qui ne savent pas lire, mon cousin,
Voilà... etc.
Exercés pour son bien, mon cousin,
Votre charité pure,
Vous êtes son soutien, mon cousin,
Lui votre créature, mon cousin,
Voilà... etc.
Bilhan, Désirat, Grim, mon cousin,
Feront triste figure,
Sans honneur et sans pain, mon cousin,
La cruelle aventure, mon cousin,
Voilà... etc.
Taurières le Dragon, mon cousin,
Qu’en l’église on le place,
Il porte, m’a-t-on dit, mon cousin,
La robe et la cuirasse mon cousin,
Voilà... etc.
De bon cœur je les plains, mon cousin,
Et vous les recommande ;
A chacun d’eux enfin, mon cousin,
Donnez une prébende, mon cousin,
Voilà mon cousin, l’allure, mon cousin,
Voilà mon cousin l’allure.
*
Notes :
(1) : En 1787 M. de Bardy qui habite rue Tolosane est conseiller à la chambre Tournelle depuis 1738. Académie des Jeux Floraux (1739).
(2) : Depuis le 14 novembre 1770 Antoine-Joseph de Niquet de Sérame, issu d’une vieille famille de trésoriers de France à Montpellier et à Toulouse, est premier Président au Parlement de Toulouse. Il est toujours en place en 1787. Fait partie de l’Académie des Jeux Floraux (1763). Après 1773 M. de Niquet fonda une loge maçonnique à Toulouse dont on ne sait rien. Son fils épousera une Crozat.
(3) : Biographie Française, Malet-Isaac XVII et XVIIIe s. P. 474.
Pour toute l'affaire des Parlements, on lira avec intérêt les études lumineuses de Pierre Gaxotte : le Siècle de Louis XV (Arthème Fayard 1933) et Chaussinand-Nogaret : La Vie Quotidienne des Français sous Louis XV (Hachette).
La lettre de M. l'Avesquat fait partie de la collection de M. Benazech, de Castres, que je remercie ici de la parfaite courtoisie avec laquelle il m'a permis de la reproduire. Les deux chansons contre le Parlement étaient dans les papiers de la famille Planés, notaires à Soual aux XVIIIe et XIXesiècles.
(4) : "Sur le Racine mort, le Campistron pullule". De l'auteur de Virginie, Arminius, Andronic, Alcibiade, Tiridate et autres tragédies et opéras tirés de la mythologie ou de l'histoire ancienne, Campistron, dit "le Singe de Racine", il ne reste plus que ce vers irrévérencieux de Voltaire. Comme il était né à Toulouse en 1656, académicien et mort en 1723 il doit s'agir, en 1768, de sa veuve ou de sa belle-fille. De Campistron marquis de Maniban est président de la chambre Tournelle en 1775. Il habite rue Ninau.
Quant à Barbaza de Boissezon il est aussi conseiller honoraire au Prlement de Toulouse, depuis 1752. Il habite rue des Balances.
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