La guerre de 1870 vue de Castres Tarn

LA GUERRE DE 1870 VUE DE CASTRES

 

Les derniers régiments de cavalerie légère

 

en garnison à Castres : le 6° et le 7° Hussards (1869-1874).

 

 

 

PAR JEAN ESCANDE

 

 

 

 

 

            Succédant au 12° régiment de Chasseurs à Cheval, à Castres depuis 1865 le 6° Hussards arrive dans les derniers mois de 1869. L’Indépendant du Tarn, journal républicain publié dans la ville même, signale dès le 16 septembre le passage à Albi des « Colonnes du 6° Hussards » : pour le 13 octobre on attend les deux escadrons de dépôt, commandés par un chef d’escadron (16 Officiers, 191 hommes, 215 chevaux). Puis, les 19 et 20 octobre deux escadrons,  commandés par le lieutenant-colonel (8 Officiers, 232 hommes, 256 chevaux). Enfin le 21, deux escadrons et l’état-major, commandés par le colonel (13 Officiers, 235 hommes, 278 chevaux). Soit un peu plus de 700 hommes en tout. A cette date de septembre 1869, le peloton hors-rang est déjà arrivé à Castres.

 

Tout ce monde va loger dans le Quartier de Cavalerie, qui s’appellera après 1875 Quartier Drouot quand les 3° et 9° d’artillerie en auront pris possession. C’est de nos jours, après maintes destructions, le Centre Administratif. Le 6° Hussards, qui porte le dolman vert-clair, à collets et parements rouges, boutons et tresses blancs, pantalon rouge à bande blanche et passepoil central vert-clair, devait égayer la ville, habituée aux dolmans vert-sombre à tresses noires des Chasseurs à Cheval. Néanmoins, dès le mois d’octobre, l’Indépendant du Tarn note : « Un événement déplorable vient d’impressionner péniblement la population de notre ville : deux capitaines du 6° Hussards se sont battus mercredi passé, à l’épée. Un d’eux a été frappé dans la région du cœur : la mort a été instantanée. »

 

On retrouve, dans le registre des Décès municipal, le nom de ce capitaine adjudant-major, à la date du 28 octobre. Deux vieux de l’Hospice des Malades, où on a déposé son corps, viennent déclarer le décès : il s’agit de Louis-Auguste Clément Clémençon, 48 ans, né à Lyon, chevalier de la Légion d’Honneur, fils de père inconnu et de Françoise Clémençon. « Nous ignorons la cause de ce duel, qui vient d’avoir un si triste dénouement. Il parait toutefois que la querelle qui l’a amené ne datait pas d’hier. Les obsèques ont eu lieu vendredi à 9 heures du matin. En présence de la fréquence des duels qui se produisent à chaque instant, on ne peut s’empêcher de déplorer une telle persistance dans une coutume barbare qui ne saurait être de notre âge. La guerre entre deux peuples est aujourd’hui frappée de réprobation. Il serait à désirer que le duel, qui n’est que la guerre entre deux hommes, fut à son tour frappé du même discrédit. Si le législateur est impuissant à le faire disparaitre de nos habitudes, le sentiment public devait lui venir en aide en condamnant sévèrement un usage qui ne saurait se maintenir dans nos mœurs qu’au détriment du progrès moral et de la civilisation. » Cette tirade prouve l’émotion soulevée dans la ville ; et, dans le même numéro de l’Indépendant, un long article intitulé « Le Duel » essaie de moraliser les bouillonnants lecteurs.

 

Le 15 janvier 1870, autre refrain moralisateur : « Encore un fait à ajouter à la chronique des gaietés du sabre. On nous assure que mardi, vers 6 heures du soir, deux militaires ont mis en émoi les personnes qui passaient sur la Place Impériale » -actuelle place Jean Jaurès-. « Ces deux soldats auraient mis le sabre à la main, en poursuivant une troupe d’enfants qui fuyaient devant eux. Il paraitrait qu’ils étaient pris de vin, ce qui serait une excuse sans doute, mais qui n’atténue en rien l’inconvénient du port d’armes, en dehors du service militaire ; Si ce fait est exact, comme on nous l’affirme, il prouve une fois de plus de la nécessité de supprimer le port d’armes, au moins quand les exigences du service ne le justifient pas. Cette réforme depuis longtemps réclamée intéresse trop la sécurité publique pour que la presse ne saisisse pas toutes les occasions de signaler les inconvénients et les abus de l’état de choses actuel ».

 

L’hiver est rude, la neige recouvre les montagnes, et on signale des loups à Escoussens. Aussi, le 6 février, deux hussards en permission et certainement originaires de Saint-Pons de Thomières, auraient-ils connu malencontre si un hasard providentiel ne les avait sauvés : « Lundi dernier, deux hussards, partis le matin de Saint-Amans Soult, se rendaient à Saint-Pons. Après quelques heures de marche, harassés de fatigue à travers la neige, ils étaient à bout de forces. Nous ne savons ce qu’il serait devenu d’eux, sans l’arrivée du courrier qui les prit dans sa diligence jusqu’à Saint-Pons. »

 

Le 20 mars, une récompense : la médaille militaire a été conférée au cavalier Fischer, Joseph-Antoine, 26 ans de service, une campagne : le type même de l’engagé du Second Empire. Les décorations étaient rares ; c’est la seule que j’ai retrouvée, et pourtant l’Indépendant du Tarn est fort minutieux sur ces matières. On voit que le hussard Fischer avait commencé sa carrière en 1844, sous Louis-Philippe. C’st certainement quelqu’un du pays, car il y a toujours des Fischer à Sorèze.

 

Fin mai, un détachement du 6° Hussards combat un incendie à Hauterive, près de Labruguière, dans une filature appartenant à M. de Villeneuve, ancien maire de Castres.

 

Le 17 juillet, c’est la déclaration de guerre à la Prusse. A Mazamet, des groupes de jeunes gens parcourent la ville, accompagnés de musiciens, en chantant la Marseillaise et en criant « A Berlin ! »

 

Le vendredi 22 juillet 1870, le 6° Hussards s’embarque à la gare de Castres pour Lyon « d’où il sera dirigé sur le théâtre des événements. Une foule nombreuse a accompagné les escadrons à la gare, où ils se sont rendus, précédés de l’Orphéon Castrais. Il ne reste plus en ce moment dans notre ville qu’une centaine d’hommes formant le dépôt ». Selon le schéma qu’on verra appliqué en août 1914 dans la même ville avec les régiments d’artillerie hippomobiles, « une commission composée d’officiers du 6° Hussards doit se réunir, Quartier de la Cavalerie, tous les jours de 8 à 10 heures du matin, pour acheter les chevaux qui seraient aptes au service du tait et les mulets ; ces animaux devront être âgés de 5 à 10 ans et avoir au moins la taille de un mètre 46 centimètres ».

 

Une grande foule accompagne à la gare les soldats de la réserve qui rejoignent leurs corps. Les élèves de l’Ecole de Sorèze et d’autres établissements renoncent spontanément (toujours comme en 14-18) aux prix de fin d’années qui devaient leur être distribués, pour en appliquer le montant au soulagement des blessés. Le directeur adresse la somme –mille francs- au Ministre de l’Instruction Publique. A Castres se forme un comité de Dames Patronnesses pour recueillir les dons en argent et en nature : linges, vêtements et charpie. La garde mobile est réquisitionnée. Une Mazamétaine de 26 ans, Rosalie Escande, se propose comme infirmière : « Soit dans les ambulances ou sur les champs de bataille, je prodiguerai des soins aux malheureux atteints par le feu ennemi. Je remplacerai auprès de ces braves soldats une père ou une sœur absentes ». Le Pasteur Eugène Durand part, en compagnie de prêtres catholiques, secourir les blessés de l’Armée du Rhin. L’été a été très sec : les cultivateurs se plaignent du manque d’eau dans le Sor. Il y a disette de fourrage, de maïs et de pommes de terre.

 

Le 6° Hussards et le 6° Dragons devaient former la 2e brigade de la division de cavalerie du 7e Corps –mais la défaite fut si soudaine qu’ils n’eurent pas le temps de prendre part aux hostilités. L’Indépendant du Tarn est envahi de nouvelles de la guerre, désastreuses, et de curieuses réclames : « A-t-on songé à munir nos soldats de l’Extrait de Viande Liebig ? Un petit pot de 150 grammes, haut de 5 centimètres, contient la matière de vingt bouillons. On pourrait à la rigueur vivre cinq jours sans autre alimentation. Quelle ressource pendant les jeûnes forcés que la guerre impose ! » La proclamation de la République, le 4 septembre, qui tient beaucoup au cœur du rédacteur en chef de l’Indépendant, Auguste Terson de Palleville (remarquable photographe) est une explosion de joie.

 

Le 8 septembre, la Garde Mobile part pour Paris, accompagnée par l’Orphéon Castrais et une foule enthousiaste. Un corps de Francs-Tireurs Volontaires de la Montagne Noire s’organise à Castres : « C’est dans les montagnes que se réfugie et se sauve l’indépendance des peuples, que notre brave Midi ne l’oublie pas » écrit Melchior de Gélis, conseiller général, le 25 septembre. Le 5 octobre, Lissagaray, Commissaire du Gouvernement pour l’organisation de la Défense Nationale (1) arrive à Castres,  salué par les nombreux républicains que s’est découvert la ville. Mais déjà, comme  toute époque troublée, apparaissent les présages et les intersignes : « Vers 7 heures et demie, un corps lumineux présentant toutes les apparences d’un ballon passait lentement sur la ville à une grande hauteur. On se perd en conjectures, le passage d’un corps lumineux présentant toutes les apparences d’un aérostat est bien fait pour surexciter les imaginations ». Pendant que les Francs-Tireurs de la Montagne Noire partent pour Dijon et les Vosges (19 octobre), on s’interroge sur une vieille prophétie découverte dans une malle : « En ajoutant deux semaines d’années (14 ans) à la première année du siècle (1800), on obtient une année funeste pour la France (1814), année d’invasion et de misères de tourtes sortes. Si à 1800 on ajoute trois semaines d’années (1821) on obtient l’année de la mort de Napoléon Ier. Si l’on passe à six semaines d’années on arrive à l’année de la mort du Duc d’Orléans (1842, le fils aîné de Louis-Philippe. Sept semaines d’années (1849) donnent l’année où commence le pouvoir de Napoléon III. Ce pouvoir cessera après trois semaines d’années (21). Et en effet 1849 + 21 donnent 1870f... En ce temps-là la Germanie envahira la France et pénètrera jusqu’aux portes de Paris, mais la France ne périra pas ! L’année ne se terminera pas sans un immense désastre pour les Germains ! »

 

L’ennui, avec les prédictions, c’est qu’elles cessent d’être justes dès qu’on aborde le futur, ou seulement le présent... Les intersignes continuent, véritable préfiguration de nos O.V.N.I. : « Hier soir vers 8 heures un spectacle magnifique attirait les regards d’une foule nombreuse. Une splendide aurore boréale colorait l’horizon de ses lueurs rougeâtres. Le ciel paraissait en feu : on eût dit les sinistres reflets d’un immense incendie. Les plus étranges commentaires circulaient naturellement dans la foule étonnée, chacun expliquait le phénomène à sa manière ; tous étaient d’accord pour y voir un présage. L’impression que produisait sur la foule ce spectacle, assez rare d’ailleurs dans nos contrées, n’était pas exempte d’une certaine frayeur. Les phénomènes de ce genre ont passé de tout temps, aux yeux des populations ignorantes des faits scientifiques, pour des présages de guerre ou autres calamités publiques. » (25 octobre). « Une seconde aurore boréale, mais plus lumineuse, plus étendue, plus persistante, s’est montrée hier soir quelques instants après le coucher du soleil. » (26 octobre).

 

Pendant que les Francs-Tireurs de la Montagne Noire sont à Auxonne, à cinq kilomètres des Prussiens, on apprend que Mieulet de Ricaumont, lieutenant-colonel au 6° Hussards, est nommé colonel du 7° Chasseurs, en remplacement de M. Thornton, promu général de brigade. Les Pasteurs du Tarn protestent contre la conduite du Roi Guillaume « contre son langage mystico-biblique si étrangement mêlé à tant de sang et de larmes » : qu’auraient-ils dit s’ils avaient vu l’infirme demi-fou, Guillaume II, qui déclencha le premier conflit mondial, et le fou démoniaque Hitler qui acheva la ruine de l’Europe !

 

 

 

Jean Escande : « L’Evasion de Lissagaray et son exil à Londres ». Bulletin de la Société des Sciences, Arts et Belles Lettres du Tarn, 1974.

 

 

 

 

 

Le 24 novembre 1870, « une forte colonne de conscrits du 6° et du 7° régiment de hussards » (dont on entend parler pour la première fois) « ont quitté Castres mardi pour être versés, dit-on, dans l’infanterie » : mesure qu’on verra se reproduire dans la guerre de tranchées dès 1915 avec les cuirassiers, dragons et hussards à pied : dès 1870 le rôle de la cavalerie sur les champs de bataille est pratiquement terminé.

 

Pourtant, quel joli uniforme que celui du 7° Hussards en cette fin du Second Empire. Très proche de celui du 6°, la seule différence était le jaune d’or au lieu de l’argent dans les boutons et les brandebourgs. Pour le reste, le dolman était toujours vers-clair à collet et parements garance et boutons de cuivre ; le pantalon garance à passepoil vert-clair et bandes en poil de chèvre jaune d’or. La coiffure était le talpack, sorte de cylindre sans visière, en peau d’agneau frisé noir avec flamme écarlate passepoilée de jaune d’or, le tout sommé sur le devant d’un plumet blanc et écarlate. A la réforme de 1868 tous les régiments de hussards devaient prendre le dolman bleu ciel à sept brandebourgs blancs, mais seuls le 1° et le 8° furent dotés de ce nouvel uniforme.

 

« On annonce, nous dit le journal, pour jeudi le départ d’un escadron de hussards de 140 hommes qui se rend à ... » La censure a déjà fait son ouvre : le lieu de destination à l’Armée Nationale n’a pas été indiqué.

 

Le 7° Hussards venait de faire campagne, et même d’assister à la dernière grande charge de cavalerie de tous les temps, celle de Mars-la-Tour. Le 7° et le 2° Hussards constituaient la brigade Montaigu, du 4° Corps, commandé par le général Legrand. Le 16 août 1870, la brigade, suivant le 2° Chasseurs d’Afrique qui venait de culbuter le 13° Dragons prussiens, chargea une colonne de dragons royaux et de cuirassiers hanovriens. Le général Legrand fut tué, et le général Montaigu, commandant la brigade, fait prisonnier. S’ensuivit une épouvantable mêlée, les Dragons et les Lanciers de la Garde Impériale ayant chargé à leur tour. « On sut, après l’affaire, que les dragons royaux portaient, entre le drap du vêtement et la doublure, une épaisse lame de cuir d’un centimètre et plus. Nos hussards étaient surpris de sentir la pointe de leurs sabres s’arrêter sur la poitrine des cavaliers ennemis. Parmi les officiers qui se distinguèrent dans ces charges, tous les combattants citèrent le lieutenant-colonel du 2° Hussards, Henri de Planhol » (Général Ambert : l’Invasion, page 142 et Historama : la Cavalerie Française, page 86).

 

Les cavaliers du 7° Hussards en formation à Castres devaient être de jeunes gens requis par le Gouvernement de la Défense Nationale. L’atmosphère de la guerre n’éteint pas les querelles particulières : le 29 décembre 1870, un duel, à nouveau, oppose le brigadier Victor Iehl, du 6° Hussards, volontaire mazamétain pour la durée de la guerre (son père est officier municipal) et Drouard, ancien sous-officier, ancien secrétaire du maréchal Pélissier. Drouard a été élu capitaine des Francs-Tireurs de la Montagne Noire. On ne connait pas les raisons du duel, mais on peut supposer qu’elles sont celles, classiques, qui dressent les tenants des Corps Francs et ceux des troupes de ligne. Provoqué en duel par le jeune hussard, qu’il a insulté, et qui a donc le choix des armes, Drouard refuse le sabre, et ne veut se battre qu’à l’épée ou au pistolet.

 

Le 30, Iehl accepte de se battre à l’épée, comme le veut Drouard. Ses témoins, Azaïs et Martinet, tous deux aussi volontaires au 6°, attendent en vain jusqu’à neuf heures du soir le bon vouloir du capitaine des Francs-Tireurs : c’est la quatrième fois qu’il les fait poser ! Enfin l’adversaire arrive avec ses témoins, mais demande à consulter le sous-préfet, ou même à renvoyer le duel après la guerre !

 

La rencontre devait avoir lieu à Gourjade, lieu alors désert et éloigné de la ville. Avec une parfaite mauvaise foi, Drouard refuse toujours le combat. Un de ses témoins, Jean-Louis Laurent, lithographe, ayant insulté Martinet, reçoit une gifle au Café du Languedoc. Finalement, quand on se décide enfin à sortir les épées, la police intervient, tout à fait opportunément... Et certainement appelée en sous-main par Drouard. Les hussards, ne pouvant obtenir réparation par les armes, traduisent Drouard en correctionnelle pour injure et diffamation : on voit ce que Maupassant aurait pu faire avec un pareil canevas.

 

L’année 1871, c’est le retour à la paix. Chevallier, capitaine-trésorier, tient à remercier publiquement M. Barthès, carrossier rue du Temple, d’avoir rapporté deux cent francs que le capitaine lui avait donnés en surplus d’un paiement (10 août). On pense déjà à la revanche : le sous-préfet, Lestaubières, enjoint aux maires des communes avoisinantes de ne mettre aucun empêchement aux exercices des 6° et 7° Hussards qui composent la garnison : « Ils se rendront quelquefois dans la campagne, peut-être dans votre commune, et passeront dans les bois, champs, à l’exception des terrains couverts de récolte et des propriétés clôturées. » (5 octobre).

 

Mais le 3 décembre, le 6° Hussards quitte Castres : on prétend que c’est grâce à l’incurie de l’administration municipale. « Nous affirmons positivement que M. le Maire a fait toutes les démarches possibles pour conserver ici le dépôt de ce régiment ».

 

En 1872, les rédacteurs du Républicain du Tarn (le journal a changé de titre) se félicitent du colonel du 7° Hussards, M. Chaussée, qui en juin fait provisoirement à Albi les fonctions de général de brigade. Ce même mois, on nous apprend que « sur les 65 militaires du 7° Hussards originaires des provinces d’Alsace Lorraine, qui, d’après les prescriptions de la Convention de Francfort, étaient tenus à une déclaration de nationalité, cinq seulement ont opté pour la nationalité allemande. » En août, l’Emprunt Thiers pour la libération du territoire, a fêté comme partout en France un colossal succès ; mais au Jardin de l’Evêché, la fête patriotique prévue n’a pu avoir lieu à cause de la pluie, qui a persisté trois jours de suite. On avait annoncé une sérénade par l’excellente fanfare du 7° Hussards. « Elle alternera avec la Chorale de Saint Jacques. L’honorable colonel Chaussée s’est fait un plaisir d’accorder à M. Sauvaget son vaillant corps de trompettes qui, comme on sait, avec les moyens les plus restreints, a obtenu d’excellents résultats. Le Ministre de la Guerre a rétabli les musiques dans les régiments de cavalerie et d’artillerie. Le 5° Hussards, en garnison à Carcassonne, a déjà sa musique organisée. Avis au 7° Hussards. Nous souhaitons vivement que la transformation de sa fanfare en musique marche rapidement ». (11 août).

 

En fait, la municipalité castraise a depuis un moment une idée derrière la tête. Il est question en haut lieu de la création d’une école d’artillerie. Voyant le bénéfice qu’elle pourrait en tirer pour son commerce et son développement industriel, Castres s’est mise sur les rangs. La ville dispose d’un bon atout : le vice-amiral Jaurès, bien placé dans la France républicaine, est un de ses députés. Le projet mettra trois ans à se concrétiser, mais en 1875 Castres aura ses deux régiments d’artillerie : le 3° et le 9° de campagne. Ils resteront à Castres plus de cinquante ans.

 

Il y a quelques années, je sauvais de la pluie, à l’éventaire d’un brocanteur de la Place de l’Albinque, à Castres, une série de photographies au collodion sur plaques de verre.

 

Beaucoup représentaient des militaires aisément identifiables : des chasseurs à cheval du 12° régiment et des hussards du 6°, ce qui datait les clichés : le 12° Chasseurs tint garnison à Castres de 1865 à 1869, et le 6° Hussards de fin 1869 à fin 1871. (Les Chasseurs à cheval étaient habillés d’un dolman vert à 18 brandebourgs de laine noire à trois rangs de boutons, talpack à jugulaire vernie. Puis tunique bleu ciel, tresses noires, taconnet). Le 12° Chasseurs à cheval, commandé par le lieutenant-colonel Margueritte, se distingua pendant la guerre du Mexique, « notamment dans les combats livrés pendant le Siège de Puebla, qui lui ont mérité une des inscriptions de son drapeau :          Jemmapes 1792

 

Austerlitz 1805

 

Alger 1830

 

     Puebla 1863 ». (2)

 

 

 

(2) : Maurice Loir : Au Drapeau ! Paris, Hachette 1914.

 

Plus difficile fut l’identification du photographe : les plaques de verre ne portaient, collées dans leur angle haut droit qu’une petite étiquette où était noté un numéro d’ordre : B 220, B 304, B 521... Le numéro servait à retrouver, sur un registre qui a disparu, le nom de la personne qui s’était fait photographier ; car selon la formule de l’époque, tous les clichés étaient conservés. Heureusement, un même accessoire, un meuble carré à moulures avec des rinceaux appliqués, en bois noir, très Napoléon III, se trouve sur d’autres très nombreuses photos sur papier signées, à la même époque, de Théophile Marc. Celui-ci s’est installé à Castres en 1865. On aimera le style très classique, un peu froid, de ces inappréciables effigies de hussards, qui profitaient de leurs loisirs de garnison pour se faire tirer le portrait. La production en photos, sous le Second Empire, fut énorme. Avec un millier de portraits en cinq ans, de 1865 à 1870, soit deux cent par an, dans une petite ville de quinze mille habitants comme était Castres alors, on voit que Théophile Marc, un des cinq ou six photographes sur la place, possède une nombreuse clientèle et que son métier est florissant.

 

La plupart des personnages représentés peuvent être considérés comme des engagés, le service militaire étant alors de sept ans. L’un d’eux, accompagné de sa femme et de sa petite fille, parait être un trompette : son colback à flamme rouge et aigrette blanche sommée d’écarlate est posé sur une chaise. (Commandant Bucquoy : Fanfares et musiques des troupes à cheval, 2° série, n°15 : Timbalier du 6° régiment de Hussards, 1860). Les autres cavaliers, presque tous des brigadiers ou des sous-officiers portent, soit le bonnet de police, soit le taconnet de cuir noir vernis. Celui qui arbore sur ses manches le galon de rengagement et des fers à cheval, insignes de ses fonctions, est le maréchal-ferrant, homme rude à grosses moustaches, qui porte la médaille commémorative de la Campagne d’Italie. Le personnage chauve, qui tient un cahier, est le maréchal-des-logis major chargé des effectifs et de la solde. Certains des cavaliers portent à la main le képi modèle 1867 orné de la tresse hongroise, emblème des hussards.

 

Ces photos, extraordinairement nettes et de très bonne qualité, grâce au collodion, qui n’a pratiquement aucun grain, sont, malgré le classicisme des poses, un excellent document sur la tenue du 6° Hussards à la fin du Second Empire, dans une garnison provinciale destinée, depuis la Révolution, à voir évoluer dans ses prairies proches arrosées par l’Agout et le Thoré des régiments de cavalerie légère. Tout au long du XIXe siècle, depuis 1815, ces régiments se succédaient de deux en deux ans : « Sous la Restauration et le Gouvernement de Juillet, les régiments changeaient à chaque instant de garnison, on les envoyait d’un bout de la France à l’autre par caprice, par calcul ou par politique. C’était un sujet de dépenses considérables qui grevaient le petit budget d’un officier et n’aidait pas son ménage à vivre », écrit Charles de Hédouville, lui-même d’une famille de militaires, dans ses Souvenirs toujours inédits (1890).

 

On retrouve dans les Registres de Décès de la Mairie de Castres différents hussards du 6° : ce sont, en général, de jeunes gens : Rinterknecht Joseph, 23 ans, né à Regnisheim (Haut Rhin) décédé le 24 novembre 1869. Bauchy (Ernest) 22 ans, né à Amiens, fils naturel, décédé le 15 décembre 1869. Faucher Jean, 26 ans, né à Ligoure (Haute Vienne) décédé le 30 janvier 1870. Carré Anatole, 23 ans, né à Pel et Der (Brienne, Aube) décédé le 17 avril 1870. Blanc Jean-Pierre, 20 ans, né à Mailhoc (Tarn) décédé le 6 novembre 1870.

 

 

 

 

 

Sources : l’Indépendant du Tarn, journal paraissant à Castres (1868-1875) ; Jean Escande : Castres, villes de garnison. Sud-Tarn Tribune n°68-69 (hiver 1983-1984).

 

 

 

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