Christine de Hédouville : peintures

Christine se mit à peindre un beau jour d'été 1973, sans bruit, sans avoir jamais touché un pinceau de sa vie ; on dit que la peinture engendre des dynasties, comme la musique et l'écriture, comme tout art peut-être dans lequel l'enfant baigne dès son âge le plus tendre ; car avant elle, sa mère, Gabrielle Rigo, s'était mise à peindre tout aussi silencieusement et soudainement, en 1958, à l'âge de 47 ans. Christine, elle, lorsqu'elle s'y mit, en avait 35. Sans bruit certes, mais Jean Escande, son mari, qui avait toujours dessiné, lui parlait de peinture depuis des années et la poussait à se lancer. Pour sa toute première œuvre, elle peignit à l'huile, directement d'après nature, la maison du Vivarais où ses parents habitaient depuis 1964 : au-delà du ciel calme, pur et presqu'uniforme, des murs gris un peu gauches luisants de soleil, et des détails grossis de la campagne ardéchoise, on devine la main qui va s'affirmer et l'esprit bouillonnant de symbolisme. Son père gardait près de son lit l'œuvre chrysalide, comme un magicien en possession d’u pouvoir.

 

Christine de Hédouville naquit le 18 septembre 1938 à Hagondange, dans la Moselle, en Lorraine, ou son père Jacques, aristocrate issu d’une famille catholique très pratiquante, était ingénieur dans l'industrie métallurgique. Sa mère, Gabrielle Rigo, issue d’une famille bourgeoise nancéenne, détonnait dans son milieu de par sa nature artiste et rebelle.

 

Christine est d’une nature rêveuse. Ses parents l’appelaient « l’Adroite Princesse » parce qu’elle était d’une rare maladresse et pleurait pour un rien. Allongée dans l'herbe, elle regardait, enfant, les nuages, essayant de leur trouver des formes. Ses lectures préférées, ainsi qu’à sa sœur Sylvie étaient "Les Malheurs de Sophie", "Les Petites Filles Modèles", « Blondine, Bonne Biche et Beau-Minon » de la Comtesse de Ségur. Elle illustra plus tard largement ce dernier conte, ainsi que « Nils Holgersson » de Selma Lagerlöf, que leur père leur lisait dans leur enfance, et que leur mère leur avait fait illustrer.

 

                Rien ne la prédisposait à peindre, si ce n’est l’exemple de sa mère, habile et imaginative artiste qui allia avant de tardivement peindre à l’huile, l’art de la broderie, de la gouache, de la couture, des arts plastiques ; l’exemple aussi, d’une de ses tantes paternelles, Marie-Antoinette de Hédouville, qui dessina toute sa vie au crayon, croquant frères et sœurs, neveux et nièces, paysages, illustrant un conte d’une de ses sœurs, et modelant la terre.

 

Mais c’est véritablement sous l’influence de son époux, Jean Escande, que Christine se mit à peindre. Il était artiste dans tous les sens du terme, et aucune technique n’avait pour lui de secret : le dessin au crayon, à l’encre, l’aquarelle, l’huile. Il la poussa à peindre à l’huile. Elle fit dès lors des toiles d’un surréalisme bon enfant, jamais agressif, jamais dérangeant, mais où l’humour le dispute à une gentille moquerie. Les animaux furent une de ses grandes sources d’inspiration ; lorsque conte et animal fusionnaient, l’inspiration était à son comble.

 

Christine de Hédouville cultive un jardin naïf où les collines prennent des tons de pelages et le temps, des accents vulnérables. Etranges citadelles habitées de muettes armures, d’ogres endormis et d’animaux de légendes. La peinture de Christine de Hédouville est un conte : elle en a la poésie, l’extravagance, la beauté, les couleurs insolentes, la naïveté, mais aussi une logique par laquelle on se laisse emporter, guidé par quelques rhinocéros bonasse ou quelques poisons volants...

 

Article de Gaston-Louis Marchal le 6 décembre 1989

 (Relatif au catalogue de peintures de Christine de Hédouville édités en 1989)

 

Tout Tarnais amateur de peinture devrait lire cette grande plaquette (Keray, imprimeur à Castres) pour tirer profit de ses nombreuses qualités.

 

Sur beau papier couché... Une vraie SOMME... Bien architecturée.

 

Enserrées sous couverture colorée, et séparées par deux grandes pages de reproductions couleurs techniquement réussies, s’équilibrent deux partie à la fois différentes et semblables. Aussi différentes que peuvent l’être une biographie et une liste, mais comparables sur les plans de l’importance et du ton.

 

La biographie de l’artiste est empreinte du ton de conte de fée où, dans la narration d’une vie intense et vraie dans des châteaux vrais, il semble qu’Alice du Pays des Merveilles croise un mousquetaire d’un roman de Dumas, un chevalier du temps de la belle Iseult et la cigogne ou le troll des histoires nordiques. Au Goûter des Enfants succède La Licorne et le Capricorne avant que Les Idées Heureuses ne débouchent sur Le Monde Comme Il Va, celui-ci amenant à Cultiver son Jardin. Il s’agit là des chapitres de la vie de Christine de Hédouville relatée par... Angélique Escande, fille de l’artiste. Oui, c’est la propre fille de l’artiste qui, sur une trame et avec des mots d’un beau conte, retrace l’existence de la talentueuse maman, partie de Hagondange en Moselle pour – via Lagrasse en Aude – vivre actuellement en le château d’Escoussens, en Tarn, où elle produit des tableaux d’un surréalisme non seulement personne, naturel, agreste, frais et gai mais souvent riche et somptueux.

 

La liste – catalogue raisonné – des 230 tableaux que le peintre exécuta de 1973 à mi 1989 possède elle aussi, de par les titres des œuvres, le même ton du conte de fée empli d’histoires de cape et d’épée et d’exploits ou mises en scène d’animaux. Jacques et ses cinq fèves (n° 12) ou L’Ange du Bizarre (n° 62) ne croise-t-il pas, en quelque Manoir Gothique (n° 98) ou autre Palais de Badroulboudour (n° 157), des Grues qui dansent à Kullaberg (n° 54) ou un Poisson-lune (n° 173) exhibé par Cuchulainn, le Chevalier au Rameau Rouge (n° 186) ?

 

Mais, sous couvert d’une poésie d’histoires ou de contes, la plaquette révèle une intéressante car explicative biographie d’artiste heureusement complétée par ce que rarement un artiste peut fournir... A savoir une liste exhaustive des œuvres réalisées. Quel document précieux va être cette liste au service de ceux qui voudront, un jour, étudier la production de Christine de Hédouville ! Personnellement, aux précisions fournies, j’aurais encore ajouté la date d’exécution.

 

Pour qui connaît la famille constituée par Christine de Hédouville – peintre -, Jean Noël Dominique Escande, l’époux-dessinateur et peintre talentueux également, et historien – et Angélique, la fille, et pour qui connait les dires et les œuvres des trois personnes de cette famille, on est bien aise de constater combien ces trois êtres savent s’enchanter à partager mêmes buts, mêmes goûts, mêmes soucis sans doute, et mêmes félicités culturelles. Car, oui, existent une poétique, une vision, un ressenti, un ton « Escande-Hédouville » certes diversifiés et personnalisés mais tout de même communs.

 

En tout cas, bravo à Angélique, la fille, d’avoir su s’épanouir entre deux parents poètes de nature et dans leur vie choisie et conduite. Bravo à Angélique d’avoir su trouver sa voie personnelle sans se couper de l’originale pensée parentale, en sachant intégrer ce que père et mère lui ont offert dans une synthèse dont donne idée cette biographie Christine de Hédouville-Peintures.

 

                                                                        Gaston-Louis Marchal

                                                                        6 décembre 1989

 

 

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