L’ECOLOGIE SOUS LA RESTAURATION Félix de Dartein sous-préfet à Lavaur

L’ÉCOLOGIE SOUS LA RESTAURATION

 

Félix de Dartein sous-préfet a Lavaur

 

(1826-1829)

 

 

Pendant que Charles X s'installe béatement dans un pouvoir qu'il estime durable, un jeune homme de 30 ans, Félix de Dartein (1) prend place à Lavaur, cette année 1826, comme sous-préfet. Il y restera 3 ans. Félix de Dartein n'est pas nouveau dans l'administration : il a déjà été secrétaire du Préfet du Doubs, Villiers du Terrage. Son supérieur, le vicomte Decazes, Préfet du Tarn, envoie à Félix différentes notes à méditer dans son bureau près de Saint-Alain : la mode sous la Restauration est au reboisement et à l'entretien des forêts ruinées par 25 ans de guerre et de révolutions. Il y a fort à faire. Depuis 1789, les forêts domaniales, en grande partie anciens biens du Clergé vendus comme Nationaux, ont été dévastées, pillées, rasées, soit par des riverains chapardeurs, soit par les acquéreurs de bien nationaux pour se payer de leur achat.

 

De plus, les besoins militaires de la révolution et de l'Empire pour fabriquer les énormes navires à voiles, les affûts de canons, le matériel pour le Génie, les caissons d'artillerie, des crosses pour un ou deux millions de fusils, pistolets... ont systématiquement ravagé ce qu'avaient commencé les pillards amateurs. Voici par exemple un extrait du rapport du Préfet Lamarque pour le Tarn, en 1804 : «Dans les environs de Lavaur, on cultivait autrefois le mûrier ; aujourd'hui très peu. Le prix du bois augmente chaque jour, et l'on s'aperçoit qu'il devient rare : le merrain est emporté à Bordeaux et à Montpellier. Des genêts, des bourdaines remplacent les antiques chênes de la forêt de Grésigne, concédée à M. de Maillebois, et qu’il a fait défricher par des Saxons». (Annales Européennes, Tome 1, p. 262, par M. Rauch, de Bitche, fondateur de la Société de Fructification Générale, Paris 1821). Tous les rapports des Préfets concordent : la sylve française n'existe plus.

 

Il faut replanter. La Restauration, dans ce domaine comme dans bien d'autres, s'emploie à réparer les plaies causées par le régime précédent. Heureusement il se lève une nouvelle génération d'agronomes : Félix, qui a déjà administré une forêt familiale, à Thanvillé, se découvre une âme romantique (c'est l'époque) et singulièrement écologiste avant la lettre. Sur son portrait, très officiel, vers 1840, c'est un homme chauve, maigre, d'une quarantaine d'années, dont l'air digne et froid d'Alsacien est démenti constamment par des écrits drôles et aimables. Il ressemble assez au nîmois Guizot mais son style est nettement plus bucolique.

 

Véritable sous-préfet aux champs, Félix de Dartein, qui a l'esprit aimable et orné comme on l'a au début du XIXème siècle, rime les vers légers où il ne prend pas l'Etat excessivement au sérieux :

 

Vous qui taxez voitures et carrosses,

 

Chevaux de luxe et d'apparat,

 

Exemptez le Char de l'Etat,

 

Car il est traîné par des rosses...

 

Voilà qui fera plaisir à tous ceux, nombreux, qui paient la vignette automobile : depuis 1826 les choses n'ont guère changé, en ce domaine comme en bien d'autres. A Lavaur Félix se décrit ainsi :

 

Au surplus je vois là ces dossiers qui m'attendent

 

Altérés d'encre, entre eux, j'entends qu'ils se demandent

 

Ce que font les commis, et si dans les bureaux,

 

L'on s'occupe toujours de ministres nouveaux.

 

Rien de neuf là non plus chez les fonctionnaires, royaux, impériaux ou républicains ! II s'amuse à faire un acrostiche sur le nom de LAVAUR :

 

L  Loin du pays qu'arrose un fils du Saint-Gothard

 

A Aussi obscur chez lui qu'ignoré du Tartar,

 

V Vit, au bord de l'Agoût, un peuple débonnaire,

 

A Aimant mieux son maïs, ses truffes que la guerre,

 

U Un peu surpris de voir qu'Alsacien, Patagon,

 

R Raurac, Triboque ou Hun n'entend point son jargon.

 

Notre sous-préfet Félix entreprit d'écrire une Histoire de Lavaur, et en 1827 il recopia consciencieusement tout ce qui a trait à cette ville dans l'Histoire du Languedoc, de Dom Vaissette. L'ensemble des notes forme déjà un cahier assez épais. Mais tout celà n'était que divertissements. Le sous-préfet de la Restauration ne bernait pas le gouvernement royal en rimant de petits vers ou en compilant l'histoire locale. Non seulement il parlait et écrivait l'allemand et l'anglais, comme le prouvent de nombreux extraits de revues, mais il correspondait avec plusieurs sociétés savantes pour étayer les travaux qu'on lui demandait : il était depuis 1825 membre des Comices Agricoles. En tant que sous-préfet, on demande sa collaboration à l'élaboration d'un Code Forestier, puis à un Code Fluvial.

 

«Monsieur le Sous-Préfet», lui écrit d'AIbi le 4 Août 1827 le Préfet vicomte Decazes, «une commission spéciale a été chargée de préparer un projet de code de pêche fluviale. Ce projet devant être communiqué au Conseil Général pour recueillir ses observations, je vous en adresse un exemplaire destiné à M. de Gineste. Je vous invite, avant de le lui transmettre, à en prendre connaissance et à me donner ensuite votre avis...»

 

Qu'à cela ne tienne : Félix prend le projet de code article par article et pond un rapport, qui, espérons-le, satisfit son supérieur : «Cet article ne fait point mention de rivières flottables... Ce ne serait sans doute que par une extension excessive du principe que l'Etat s’attribuerait la propriété des cours d'eau flottables à bûches perdues, car la plupart des ruisseaux de montagne en deviennent susceptibles à certaines époques de l'année. (Il doit penser au Vernazobre). Soucieux du bien des particuliers, il note : «Dans quelle proportion la pêche d’un étang ou d’un lac indivis appartiendra-t-elle aux propriétaires riverains ?» Ne seront-ils pas dépossédés du droit de pêche 7 «Aucune peine ne menace la pêche à la main et au dard, qui est la plus désastreuse pour les truites dans les ruisseaux de montagne... S'il dépend de l’autorité locale de permettre le rouissage du chanvre dans un cours d'eau, il peut en résulter la destruction du poisson non seulement sur son territoire, mais aussi sur celui des autres communes voisines et riveraines». Que dirait Félix en voyant les désastres des rivières déclassées comme le malheureux Thoré, et le délainage autrement nuisible que le modeste rouissage du chanvre du XIXème siècle I La pollution n'est plus, hélas, ce qu'elle était sous Charles X !

 

(1) Né en 1796 à Strasbourg, où son père fut le dernier Commissaire Général des Fontes de l'Artillerie. (Certains des magnifiques canons de bronze de la fonderie des Dartein ornent toujours la Cour de l'Hôtel des Invalides à Paris). Quand Napoléon nationalisa la fabrication des canons en 1805, Mathieu-Sylvestre de Dartein devint conseiller général du Bas- Rhin, et son fils ainé, Charles-Hermine, fut à 22 ans sous-préfet à Strasbourg, en 1811 : on voit que le sous-préfet de Lavaur suit la carrière déjà illustrée par son père et son frère.

 

La famille de Dartein, comme la plupart des familles françaises de l'époque, paie son tribut à l'épopée impériale : la sœur de Félix, Adèle, épouse un ancien volontaire de 1792 devenu général de cavalerie légère, le baron Castex, fils d'un boulanger de Pavie près d'Auch (Gers). Le général ayant pris son jeune beau-frère Gustave comme officier d'ordonnance, le jeune homme attrape le typhus à Marienwerder en 1813 au retour de la retraite de Russie, et y meurt à 20 ans. La fin de l'Empire éprouve beaucoup la famille de Dartein. Le père et le frère sous-préfet de Strasbourg meurent en 1814, en pleine invasion russe, prussienne, autrichienne... Félix a du se débrouiller très vite tout seul. Il fait ses études de droit à Strasbourg puis à Paris ; en 1819 il perfectionne son allemand à Heidelberg. Le 10 décembre 1826, il est nommé sous-préfet à Lavaur.

 

Son supérieur, Préfet du Tarn depuis 1815, est le vicomte Joseph- Léonard Decazes, frère du ministre favori de Louis XVIII. Le vicomte a d'abord été lui-même sous-préfet à Lavaur, puis à Castres.

 

                                                                                             Jean N.D. ESCANDE

(Castres-Debout n°1352 vendredi 28 novembre 1986)

 

           

 

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