Journal posthume Jean ND Escande 1961 : Retour d'Algérie, mariage et tribulation en campagne...

......

Patrick et Sylvie nous ont proposé d'aller nous installer avec eux à la campagne, ils ne veulent pas y aller tout seuls. De par sa famille Patrick a pas mal d'argent, et nous rien du tout.

 Et nous négligerions une pareille occasion ! Il faudrait être fou. Que propose d'ailleurs la Voix de la Sagesse ? (Mes parents et ceux de Jean). Que je continue à faire la classe à de sales mômes et que Jean fasse à nouveau la place comme nègre d'architecte, comme quand il était aux Beaux-arts. C'est minable.

Et d'ailleurs nous n'avons pas l'intention de priver de ces petits métiers ceux qui en ont besoin.

 - Mais ça ne pourra pas durer, un jour vous vous disputerez....

- Peut-être. Mais pour le moment nous ne nous disputons pas...

 

Journal posthume Jean ND Escande 1962: installation de la Campagne de Cicéron - voyages à Paris - détour et retour..

       Cicéron :Pas écrit de toute la semaine, on n'a pas arrêté de travailler dans ce taudis : démolir, décaper, peindre, arracher de vieux papiers, laver à la potasse, rincer... Le découragement nous prend devant tout ce qu’il y a "encore" à faire dans cette maison. Nous décidons de nous aménager au plus tôt le fruitier, pour avoir au moins une pièce peinte et confortable. C'est débilitant de voir toujours les ustensiles de ménage alignés au pied des murs faute d'étagères,

les meubles démontés faute de pièces où les ranger.....................

       Paris :  Curiosité bien punie : allé voir avec elle, au cinéma Bonaparte "Jules et Jim" film caractéristique de la soi-disant nouvelle vague.(sic) ... Si ce misérable casse-noix de Truffaut voulait bien regarder autour de lui, il en verrait à foison, des revenants d'une guerre qui vient à peine de se terminer, et des ménages brisés. Mais le cinoche français ne fait que dans la rétrospective. De plus l'expérience d'un connaud comme Truffaldin quelle est-elle ? Nulle et archinulle. 

Journal posthume Jean ND Escande 1963 1ère partie : Christine prend la parole...

Christine a tenu son journal en 1963 et en 1964, « poussée » par Jean ; de son écriture ronde, elle écrivait sur un cahier, mais pas tous les jours, au contraire de Jean, toujours prolixe en détails, notant scrupuleusement chaque jour tout ce qu’il voit, qui il voit, et les histoires qu’il entend raconter. Les années suivantes, Christine n’écrit plus. Elle était assez paresseuse pour écrire, et la prodigalité d’écriture de son mari l’a « bloqua » définitivement, d’après ses propres termes. Nous avons alterné le journal de Christine avec celui de Jean ; on verra que les mêmes événements ne sont non seulement pas perçus de la même manière, mais sont racontés de façons très différentes. D’ailleurs, la plupart du temps, Jean et Christine ne racontent pas les mêmes choses.

Journal Posthume Jean ND Escande 1963 2ème partie : chaud !

 11 juillet 1963 (suite). Jean.

 Le léger dégoût que j'éprouve pour les gens n'altère pas trop l'amitié que je leur porte, puisque j'achète pour Adrienne "L'Histoire Amoureuse des Gaules" dans une belle édition, et que j'ai promis à Bilili de mes dessins. Ce sont de jolies femmes, après tout.

Déception : je vais chercher ma bague chez Glaser. Elle n'est pas prête. Voilà bien les gens, toujours à vous promettre monts et merveilles qu'ils sont incapables d'escalader. De plus, c'est pour un bijoutier pied-noir installé à Nice que Glaser s'excuse de n'avoir pas fait ma bague. "Si on ne lui fournit pas son matériel, pour lui l'année est fichue". En voilà, des raisons !

 

Journal Posthume Jean ND Escande 1964 1er partie : immobilier, expositions, Jean s’active !

1er Janvier 1964. Le Monopoly, au vrai et au figuré.

 Je me lève assez fatigué et reste toute l'après-midi seul dans le salon de Cicéron pour écrire un tas de cartes de vœux, pendant que tous les autres vont aux Jonquières barricader la maison de la Julie.

 C'est un beau jour ensoleillé, la lumière tombe d'aplomb sur ma table et la pièce est bien chauffée ; tout est vert et doré. Les cartes de vœux sont des photographies d'un de mes dessins : l'Automne, ou l’Escargot. J'en envoie une au docteur Taurines, de Réalmont, qui nous avait promis d'exposer chez lui, Gaby et moi, et qui depuis ne s'est plus manifesté...

Journal posthume Jean N.D Escande 1964 2ème partie

On appelle d'ordinaire réalité une version un peu moins plausible que celle que donnent les songes. Sur le plan esthétique, cette version pêche par la platitude et l'insignifiance. Exemple de réalités : une statistique, une courbe de production sont des faits réels, intangibles, évidents, contrôlables. Exemple de rêverie qui ne tient pas debout : il est aussi absurde de supposer qu'un Algérien nommé Ben Daoud sera un jour souverain de 56 millions de français, qu'il arrivera aux plus hauts postes, qu'il envahira la Russie de Khrouchtchev et la Chine de Mao Tsé Toung, qu'il est idiot de croire qu'un Corse nommé Napoléone Buonaparte ait pu faire ces choses dans un passé pas si lointain.

 

Journal posthume Jean N.D Escande 1965 1ère partie : Lagrasse, Planète...

Remarqué tout un paysage ruiné, dans ces environs immédiats de Lagrasse. Le moulin de Lautier, sinistre dans son coupe-gorge : une bergerie abandonnée sur la montagne qui surplombe Boysède ; ruines d’agriculture aussi sur la Bouche au Cers... Le « Dictionnaire Universel d’Histoire et de Géographie » de M. N. Bouillet, édition de 1893, donne à l’article Lagrasse les renseignements suivants :

 

« Lagrasse, chef-lieu de canton (Aude) près du confluent de l’Orbieu et de l’Alsou, à 35 km sud-est de Carcassonne ; 1 337 habitants. Vins blancs mousseux. Préparation des cuirs ; moulins à foulon et à farine, lavage et commerce des laines. Ancienne abbaye de Bénédictins, fondée vers 779 et dotée par Charlemagne ».

 

Journal posthume Jean N.D Escande 1965 2ème partie : l'ascension de Paco ...

Hier dimanche, journée aux Jonquières. Maquereaux grillés, au fenouil. Paco engueule sa sœur Héléna au téléphone parce qu’elle l’a appelé : la directrice du Harpers’Bazar voulait faire un article sur lui. Il a préféré rester deux jours de plus à la campagne et louper son article. Il a vendu l’appartement de la rue Ligner et en a loué un autre 29 rue du Caire. Toute sa famille doit venir ici avant la fin du mois, sa mère comprise. On la verra peut-être...

L’ambiance des Jonquières parfaitement sereine ; odeurs de bois dans la cheminée (il faisait froid), campagne calme. Claude a vidé deux journalistes de Paris-Match qui venaient faire des photos. Décidément !

 Les phares des voitures, en pleine nuit, dans ce désert, faisaient un effet insolite.

 

Journal Posthume Jean ND Escande 1966 : salutaire coup de pieds aux fesses !

..........

 Malgré le retour de Christine et d'Angélique, l'ambiance dans cette maison est de pire en pire. J'ai envoyé un télégramme à Joubarbe : "Inutile de revenir à Cicéron". Immédiatement coup de téléphone ridicule de Victoria, furieuse qu'on s'attaque à son gros mari. "Claude a autre chose à faire que de s'occuper des collections de Paco !"

 - Les lui voler, par exemple ?

 Elle me raccroche au nez. J'explique pour la dixième fois cette affaire à Patrick, qui se bute et ne veut rien comprendre,

 - Tu n'as pas à te brouiller avec mes amis !

 - Tes amis ?

 A part moi il n'a jamais eu d'amis, c'est bien ce qui le met en rogne. Du coup, j'écris à Chapot et à Paco pour leur signaler que j'ai rompu définitivement avec Joubarbe. Paco me téléphone :

 - Tu devrais attendre, avant d'envoyer tes lettres, ils sont en train de te faire éditer, à Planète. Ils m'avaient dit de le tenir secret.

Journal posthume Jean ND Escande 1967 : « Ah ! Mon beau château »

 Lundi 2 Janvier 1967

 

J'ai rêvé cette nuit du château d'Escoussens, c'est la première fois que cela m'arrive, et comme c'est le début de l'année j'en augure bien. J'allais le voir par le chemin abandonné des Miquelles, au-dessus du béal, abandonné lui aussi, qui alimentait la scierie de Pouillous. Le château était bâti de deux façades rigoureusement pareilles, comme des cartes à jouer, sur le pré en pente des Martinels qui donne sur la route, et j'oubliais de dire qu'au lieu d'aller à Escoussens, où il est réellement, j'en venais. Ces deux façades étaient posées l'une près de l'autre, comme des portants de théâtre, blanches, avec de toutes petites ouvertures, et je pensais : « Il était ainsi, dans le temps ». L'ambiance était d'un jour onirique, d'un été chaud et ensoleillé. Puis Christine m'a réveillé, interrompant mon rêve, pour me faire entendre un chat-huant sur la colline de Saint-Giraud. 

Journal posthume Jean ND Escande 1968: "Vous serez content ou pas raisonnable".

....On passe l'après-midi à boire des canettes de bière chez Mme Técarré, elle nous demande notre avis sur celle-ci, de révolution.

 - Mais je ne vois pas de cadavres, pas de barricades... Non, vraiment, c'est très fade... Même pas de C.R.S. égorgés, ni de ministres pendus... Ce n'est pas sérieux : tout y manque. C'est d'un plat...

Je trouve que c'est une révolution au rabais, à la mesure, modeste d'ailleurs, de la France actuelle.

Elle nous dit que les gens en ont assez de travailler, d'être exploités.

- Par qui ? C'est bien fait pour eux : c'est eux-mêmes qui se mettent sous le joug des patrons, pour avoir ''la bonne retraite".

Elle reconnaît que si les artistes et les antiquaires se mettaient en grève, tout le monde rigolerait.

- Alors maintenant que ce sont les ouvriers, pensez si je rigole.

- Oui, mais les étudiants ? C'est dramatique !

- Si les étudiants étaient les vrais anarchistes qu'ils se prétendent, ils se dégoteraient des vieilles (ou des vieux) pour les entretenir. Comme ça ils feraient moins parler d'eux, au bénéfice de l'efficacité.

Journal posthume Jean ND Escande 1969: "Je suis un petit-bourgeois réactionnaire et je vous emmerde".

... C'est la "Saint Stanislas", et je continue à lire l'Orchestre Rouge, de ce Gilles Perrault qui sous son vrai nom (Peyrole) y était en même temps que moi. (A Stanislas, pas à l'orchestre rouge). Il était en seconde alors que j'étais en 3e avec le bon papa Minouflet.

 C'est l'histoire de la lutte d'un des plus célèbres services de renseignement soviétique, et de la Gestapo. L'auteur, communiste indélébile, admire à fond. Personnellement, je trouve ces gens répugnants (je suis un petit-bourgeois réactionnaire et je vous emmerde). Un nommé Schulze-Boysen, et sa femme, purs extraits Liebig du gratin berlinois, envoient se faire estriper en Russie, en toute paix du cœur, des centaines de milliers de leurs compatriotes.