Les amoureux de Revel Fortuné Jalabert et Maria Solomiac 1909-1910

 

 

Par Jean Escande

 

 

 

[Les phrases entre [ ] ont été rajoutées par Angélique Escande-Dubuisson (2018) d’après les notes manuscrites éparses de Jean Escande, qui étaient avec son étude. Il dut consulter les registres d’état civil de Revel après avoir écrit son étude, et n’y inséra pas sur le moment, les renseignements qu’il avait trouvés sur Fortuné Jalabert ; il devait avoir l’intention de le faire « plus tard ». C’est chose faite. Il avait aussi amassé des renseignements sur le 59e d’artillerie, et avait jeté quelque réflexion sur le papier, concernant le « refus » de Fortuné d’épouser Maria. Nous avons également inséré ces notes dans le texte].

 

 

 

Dans la chanson des Places de Paris, qui doit dater du Second Empire, à l'avant-dernier couplet, l'héroïne, après une belle carrière d'horizontale, tombe dans la débine :

 

 

 

On devient la Fille au Maillot Jaune

 

Qu'admirent sur les tréteaux forains,

 

Les artilleurs du fort voisin,

 

Place du Trône.

 

 

 

Depuis 1899, cette Place du Trône, après s'être appelée cent ans auparavant Place du Trône-Renversé, s'appelle Place de la Nation, pour commémorer le massacre de 1306 français qui furent guillotinés là pour la plus grande gloire de la République. Pas de monument pieux à ces victimes inconnues, mais un groupe très lourd et très laid, d'un certain Dalou, glorifiant à tout jamais le régime de bronze républicain. On se vante de ce qu'on peut, et en république, les anniversaires de massacres sont nos fêtes nationales.

 

Or, peu de temps avant 14, un jeune homme de Revel vient faire son service : c'est un de ces artilleurs du fort voisin - celui de Vincennes. Il s'appelle Fortuné et correspond avec son amie restée au pays : Maria. Fortuné est d'abord versé à Rueil dans une des trois batteries qu'y entretient le 12e d'Artillerie de Campagne ; puis il va à Vincennes.

 

[En 1910 le 59e d’artillerie n’existe pas. En 1911, le 12, 13 et 59e d’artillerie sont à Vincennes. Par contre le 57e est « en voie d’organisation ». D’après la lettre de Fortuné cette formation a eu lieu à Toulouse].

 

Le nom de famille de Fortuné est celui d'une ferme importante à l'angle des routes de St Félix Lauragais et de celle de Castelnaudary. [Jalabert Fortuné Gabriel est né le 13 décembre 1887, dans la maison de son grand-père maternel, porte de Vaure à Revel, fils de Louis, Léon Jalabert, menuisier, âgé de 26 ans, et de Eugénie Marie Bastié, ménagère, 22 ans, mariés, demeurant ensemble à Revel dans la maison de la dite].

 

Pour Maria, [elle doit être née en 1890 : elle a 20 ans en 191] ; les enveloppes nous apprennent qu'elle est tailleuse chez Madame Barbaste, à la Grande Allée, à Revel. Il y a certainement entre ces deux personnes de vingt ans une différence sociale au détriment de la jeune fille qui ne nous est pas perceptible, mais dont on verra les suites à la fin de ce petit roman par lettres. Fortuné paraît être assez bon garçon, mais jouisseur, et sans grand caractère : son écriture est à la fois molle, massuée et drôlement tortillonnée. Maria a une écriture décidée et dominatrice. Elle sait ce qu'elle veut, pas lui. Au bout de deux ans de correspondance, et alors que Fortuné est revenu au pays, il y a rupture [ : il refuse d’épouser Maria : c’est pour rempiler... Il ne veut pas vivre à la campagne]. Cependant cette histoire d'amour devait tenir au cœur de Maria, puisque soixante-dix ans après j'ai trouvé, dans un petit coffre plein de cartes postales, cette série de lettres bien classées. De certaines des siennes, au crayon, Maria a gardé un double, ce qui nous permet de suivre l'évolution, plutôt divergente, des sentiments des deux amoureux.

 

Il n'est pas courant de rencontrer des correspondances sentimentales : en général, les intéressés les brûlent. Celles de ces deux personnes de petite bourgeoisie, enfants de l'école de Jules Ferry, sont intéressantes parce qu'on y lit un français à la fois populaire et méridional dont la littérature, en général mauvaise, du temps, ne donne aucune idée. La préoccupation des deux amoureux est évidemment leur liaison, mais Fortuné donne des détails sur sa vie à la caserne - qu'il supporte plutôt allègrement, sa vision de Paris - il est ébloui au point de vouloir s'y installer -, et aussi sur les fameuses inondations de 1910. Maria, en jeune fille de son âge et de son milieu, court les bals et fêtes de Revel et des environs : il y en a, comme encore à notre époque, pratiquement une chaque dimanche. Dans son atelier de couturière, les cancans vont bon train, et sur quoi roulent-ils ? Sur les passions de ces demoiselles. Véritable petit monument sur les mœurs, les sentiments de nos grands-parents, et la manière de les exprimer, il aurait été dommage de laisser perdre les lettres de ces amoureux de Revel en 1910-12, l'artilleur et la couturière.

 

[En marge de l’acte de naissance de Fortuné Jalabert, il est noté : « 24 juin 1912 : contracte mariage avec Solomiac Maria Joséphine Mélanie ». La querelle d’amoureux est donc passée, vraisemblablement.

 

Fortuné Jalabert est mort le 22 mai 1968, à 80 ans passés].

 

 

 

Fortuné à Maria.

 

 

 

« Rueil le 4 novembre 1909.

 

 

 

Chère Maria

 

 

 

Je puis te remercier de ta gentillesse, car je vois qu'elle est fort grande à mon égard. Cela est bien. Je t'admire car je vois que tu prends part à mon sort et que tu le comprends fort bien. Je puis t'annoncer que tu ne te trompes guère. Comme tu le sais, de quitter mon amie et mes parents, je t'assure vraiment que cela te fait une très grande impression.

 

Oui tout seul ! Bien loin et falloir vivre dans les premiers jours ou plutôt toujours, avec des personnes que tu n'as jamais connues.

 

En outre je n'ai point trop à me plaindre à ce point de vue. J’ai à faire avec de très gentils garçons et très bien élevés. Cela est une des plus belles choses. Je te dirai que les autres chambres n'équivalent pas la nôtre ; on voit des exemples journellement.

 

Mon état de santé est satisfaisant. Je te dirai que ce n'était pas bien sérieux, mais cela n'empêche que j'ai souffert pas mal : changement d'air, eau qui n'est guère potable, aliments, cuisine du régiment, vaccin, manœuvre et puis ennui. Tu peux croire que cela m'avait bien éprouvé, et m'éprouve encore. Pour le moment, que cela te tranquillise, je me porte bien.

 

Cela ne m'empêche point de languir. Quoique tu fasses ou que tu dises, tu n'oublie jamais, et surtout loin du pays natal où est l'amie qui vous chérie et qui ne vous oublie pas.

 

Ah non ! Les soins des miens n'y sont plus, suis obligé de me les prodiguer moi-même. Tu ne peux te faire une idée lorsque la maman te manque. Ces regards, ces caresses et ses baisers de ma Maria ils n'y sont plus ; et ses mains si douces ne peuvent plus me réchauffer.

 

Pour la couture j'ai un peu plus du goût, j'ai fait du progrès, quoique me servant jamais du dé ; aussi je me fais apparaitre le sang, je me pique souvent.

 

De Paris j'en suis presque ébloui. Il y a des choses merveilleuses, des monuments très beaux. Cela est d'une beauté que je ne puis te dire, ou plutôt m'exprimer. Il faut voir de ses propres yeux. C'est l'animation, ce va et vien continu. Il y a une très grande différence avec Toulouse : c'est Dreuille avec Toulouse. Tu vois que je te donne un exemple que tu trouveras peut-être ridicule, et pourtant c'est la pure vérité. Vu tous les principaux monuments : Tour Effel, Trocadéro, Grande Roue, Opéra-Madeleine, Opéra-comique etc. Cela me distrait un peu. J'ai un échanson qui est fort gentil, qui est Vendéen et connait Paris comme je connais Revel.

 

Chaque dimanche je suis à Paris. Le tramway à vapeur passe devant la caserne et le chemin de fer de ceinture. Pour se rendre à Paris nous avons toutes les manières de locomotion possibles et cela te coûte 4 sous. J'ai à passer Nanterre, Suresnes, Courbevoie, Neuilly et la Porte Maillot et me voilà à Paris. Autrement Rueil tient presque à Paris, ce ne sont que les octrois ou barrières. Lundi dans la soirée nous avons eu relâche et j'en ai profité pour aller à Auteuil sans permission. Au moins ne le dis pas, mes parents m'en feraient le reproche. Je te le dis. Je ne doute pas que toi aussi tu te mettras à leur place, que tu me diras d'être prudent. J'en ai profité pour aller voir jouer au foot-bool, ce match si réputé et surtout ces fameux anglais. C'est au Parc des Princes que la partie s'est disputée. Je comprends que cela ne t'intéresse guère, mais c'était très intéressant ; les curieux affluaient.

 

Que je te parle de ce fameux changement ; cela t'intéressera bien mieux.

 

Pour partir de Rueil je dois partir, ou plutôt nous devons changer de régiment. Je dois aller à Vincennes au 12e Régiment d'Artillerie montée, au régiment de Louis Delor. Je crois qu'avec mon cher Louis nous pourons jamais nous quitter. Il y aurait peut-être des chances que j'aille encore en détachement à Oran ; le hazard, la vie ce que c'est... Je n'aurai jamais cru voir une chose pareille et je m'estime fort heureux d'être à la 2e Batterie, car la 5e Batterie va à Verdun. Comme tu me dis que tu ne m'écriras pas avant de savoir ma nouvelle adresse, tu peux m'écrire tout de suite, et que tu me raconte les événements qui se déroulent à Revel, car la date n'est pas fixée. Que cela ne te tracasse point, je t'en aviserai dessuite, mais écris moi dessuite cela me fera un vif plaisir.

 

A bientôt de tes bonne nouvelles. Je crois que tu dois être guérie.

 

Raconte ou dis moi plutôt ce qu'elles te disent à l’atelier, si elles parlent souvent de ton ami qui pense à toi

 

Mille gros baisers et mille grosses caresses

 

 

 

Ton Fortuné

 

 

 

 

 

Je n'ai point eu des nouvelles de mon ami Louis Delor. Dis moi si quelques jeunes soldats de Toulouse sont venus à Revel et si le costume ne leur est pas ridicule. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Vincennes (Seine) 10 Décembre 1909

 

12e REGIMENT D'ARTILLERIE. 7e BATTERIE.

 

Coopérative.

 

 

 

Ma bien chère aimée,

 

 

 

Pas besoin à te renouveller le grand plaisir lorsque tu as le bonheur de recevoirce long billet qui m'est si tendre ; il est accueilli avec la plus grande joie et le plus grand enthousiasme. Ces mardis n'arrivent pas assez vite. Tu vois ma mignonne que nos idées ont été vraiment les mêmes, qu’elles ne pourront se contrarier.

 

Nos songes faits dans la semaine sont vainement attendus, et pour te les dire et pour le faire ce petit bout de papier et tout petit billet bien doux qui nous est si cher. Je te l'ai déjà dit : sur ma dernière je t'ai exposé le cas ; si je n'étais pas si exact, que cela ne provenait pas de ma faute, ce tout petit retard même peut-être grand retard je l'avoue, cela est du au métier. Jamais tranquille pour avoir une minute à toi, pour être dans la rêverie je suis obligé de fuir la compagnie qui est très souvent bruyante, ou que les tables sont complètement prises. Je me vois obligé de m'enquérir de quelques stratagèmes. Bref j'ai réussi, je suis au bureau, que je fais ta missive qui je crois tu dois l'attendre avec impatience. Pour le moment je suis assez tranquille mais je n'omais pas aussi de te dire à l'heure à laquelle je suis en train de te causer. Sûrement que tu dois reposer, peut-être dans ton rêve tu me vois ; tout le monde est couché, il est onze heures passé. Il faut que ce soit pour ma chérie ; pour toi ma bien-aimée je braverai bien des choses, tout même le danger. C'est si gentil de pouvoir se faire plaisir à chacun son tour et en commun, après chacun son contentement et la faire éprouver, qu'il y a-t-il de plus heureux.

 

Tu as été toute heureuse d'apprendre la nouvelle qui parcourt à la rumeur des gens de la classe ; je tiendrai à ce que ce projet fut voté, mais ! hélas I je n'y crois guère, enfin j'en garde tout espoir, mais pas avec rassurance...

 

Ah ! Dame si ce fait était réalisable.

 

Que je te dise tout bas à l'oreille : ce n'est guère poli, nous causons tous deux, il est vrai c'est excusable, que c'est du 281 demain matin - après, l'heure de la délivrance qui sera plus que vainement attendue et avec la plus grande impatience, je viendrai t'embrasser bien fort et te câliner. Ah heureux jour.

 

Suis satisfait que ta santé soit fort bonne, que tu ne souffres plus comme auparavant, que tous les maux se soient enfuis.

 

Causons un peu de notre petit Revel. La fête de Couffinal a été brillante ; c'est d'ailleurs comme chaque année. Les Revelois vont prêter leur concours. Voilà Germain fiancé. Je ne connais pas cette personne. Augustine avec Jean Soulliès, ce nom ne m'est pas trop connu. Ah j'y suis : c'est le parent de Fabre.

 

Les boulangers (pour moi je le trouve, il me le semble) ils se sont réellement bien entendus. Que veulent-ils, je l'ignore.

 

Ce que je me suis ri ! A mes parents je leur demandai des renseignements au sujet de ce que je te demande ci dessus : ils m’ont demandé si je l'avais vu sur le journal. Tu vois si je me suis pensé. Francina est-elle mariée ? Laisse causer les personnes qui ne cherchent qu'à te contrarier : si elles comprennent qu'elles te fâchent, elles en sont toutes réjouies... Aussi pas besoin que je te donne des instructions, ce n'est pas d'aujourd'hui. Ma plus grande stupéfaction c'est de voir Papiérou avec 4 ans sur le dos. Le malheureux ! II le payera, c'est une grosse bévue que dont plus tard il payera. Léon mais y pense-t-il, commissionné, pas possible ! Je crois que tu as confondu, tu dois faire erreur. Dans notre dernière entrevue il ne paraissait guère avoir cela en perspective, il lui tardait d'être libéré. J'espère mardi d'avoir ta charmante lettre ; voilà que je vais à nouveau me voir chez nous, mais l'idée seulement. Je crois que tu auras la lettre dimanche matin. Toujours le soir, j'ai envoyé une carte à Julie de Versailles, elle doit l'avoir reçue, tu te joindras à moi pour la remercier de tout cœur. Bien des choses aimables aux Mamans de ma part. Mille gros baisers de ton chéri et beaucoup de caresses. Il est minuit, je vais à la hâte me coucher. A bientôt

 

Fortuné »

 

 

 

« Vincennes le 27 décembre 1909.

 

 

 

            Bien chère aimée,

 

 

 

Vraiment ce n'est guère gentil de ma part de retarder ce billet si doux qui te fait tant de plaisir ; que tu attends avec la plus grande impatience ; qui te rend la joie. Je l'avoue franchement, cela est un peu de négligence, ou, si tu veux mieux que je te dise, que je recherche la tranquillité, le calme, pour mieux pérorer avec mon aimée ; sinon, de service ou de garde. Tu vois que souvent je n'en suis cause. Oui, je te dis, j'aurais put écrire plus tôt, pas bien long, mais au moins deux mots pour te donner signe de vie et que ces journées et semaines ne te paraissent pas interminables. Je regrette beaucoup d'avoir agi, je puis te retirer ce mot (agi), j'avais cela en perspective comme tu vas voir ci-dessous. Je le vois que tu es très patiente et très indulgente, je ne veux pas en abuser, crois le. Je suis dans la plus grande joie d'avoir ce mot si tendre et enthousiasmé de voir ce bon cœur ; tu ne le négliges pas ton aimé, tu fais l'impossible pour le satisfaire. Ce mardi à l'appel des lettres, mes idées ne sont jamais déçues ; le mardi il me tarde d'arriver à 11 heures pour entendre la voix de mon aimée.

 

Crois le chérie je ferai l'impossible pour te dire quelques mots venant du cœur. Il est vrai que souvent je te le redis, que les moments de loisirs sont souvent pris pour les choses diverses ; au régiment c'est cela, pas besoin de vouloir chercher à comprendre. Heureusement que je vais pouvoir dire : sûrement que tu recevras la missive tant attendue. Ce sera pas l'an prochain mais cette année. On ira consoler son aimée, lui prouver mon affection et la couvrir de caresses. Voilà la cause du retard. C'est ce que je voulais te

 

Souhaiter de tout Cœur

 

Une Bonne et Heureuse Année

 

Que tu sois heureuse. Que tout le Bonheur soit à toi ma Chérie.

 

 

 

*

 

 

 

La semaine dernière tu me dis que tu avais la déveine, que tout se mettait de la partie... Il vaut mieux que tu finisses cette année avec un peu de patience, et que tu prennes du courage pour commencer une année de Bonheur. Fais, ou plutôt prends les soins qui nécessitent pour pouvoir dissiper cette maudite migraine, que je sache que tu sois en excellente santé, et non souffrir, être malade, te rend sombre et t'aigrit le caractère ; la santé c'est la joie. J'ai envie d'envoyer une carte à ton patron et d'y joindre une carte pour l'atelier. Qu'en dis-tu ? Ce sera un peu de politesse, cela ne saurait m'obliger. A Julie bien des compliments de ma part, à ce jour elle doit être occuppée. De sa gentillesse j'en garde un bon souvenir. Tu me dis que tu vas aller voir s'il n'y a rien. Ah non vraiment te voilà contrariée, suis je méchant. Heureusement que je suis certain que ton aimable personne, que ton bon cœur me fera excuser, mille fois merci. Merci une fois de plus ma chérie.

 

Je vais te dire ; parait que cela aurait paru sur l'Officiel que le 12e irait à Versailles et que l'on allait former le nouveau régiment, le 59e, que la 7, 8 et 12 en feraient partie, et que l'on irait au Fort de Charenton. A nouveau je vois que je vais changer de régiment, cela est à peu prés pareil. Tout de même j'étais à Vincennes, j'y serai resté. Je te dis cela ce n'est pas sur. J'en aurai vu des régiments, et quel travail va-t-il y avoir, ce n'est pas petite chose.

 

Ce surbin je le connaissais : qui est-ce qui l'a tué ? ? L'hiver n'est pas rigoureux, il ne fait pas le temps de l'an dernier ; il y avait 30 centimètres de neige. Cette année je te souhaite la Bonne Année de Paris au lieu de Lyon. Si je leur envoie la carte tu me diras leurs réflexions. Je m'y attends à ces quelques réflexions... parfois drôles. Cela ne me coûtera pas beaucoup d'être poli.

 

264 demain matin I

 

Le bonjour a ton amie Julie et auprès des mamans mon meilleur souvenir, et une bonne et heureuse année. Mille gros baisers de ton chien aimé

 

Fortuné

 

 

 

Mes parents me disent que Bernard Couillac veut faire son possible pour venir avec moi. Vois tu, un mois, voilà qu'il en a assez. Il n'a pas fini. »

 

 

 

« Vincennes le 11 janvier 1910

 

 

 

            Bien chère aimée

 

 

 

J'ai reçu tes gentilles cartes et lettres ; tout heureux que tu me souhaite tout le bonheur possible et que je te dise que c'est la première fois que je t'écris avec le beau paragraphe tant attendu : 1910. Déjà un tout petit soulagement ; cette fois ce sera la bonne; aujourd'hui c'est du 250 demain matin et je cours dessuite auprès de ma chère Maria. Quel beau jour ???

 

Quel changement ? Quels sont les événements qui vont se produire ; je ne sais ?

 

J'espère, et espérons que pour nous deux notre sort sera des plus clément.

 

Pour les 8 mois qui me reste à faire j'espère les passer assez bien. Tu sais ça ne vaut tout de même pas la maison, et puis... tu devines ! Les petites soirées passées à nous faire voir (tous deux) notre petit caractère.

 

J'ai su juger ma chérie sur ton bon cœur, ta patience : tu as su souvent me pardonner de mes idées parfois scabreuses ; je me mets un peu de tord de mon côté..... quoique souvent te disant l'exacte vérité. Je vois, et je comprends qu'à ton cher ami ; tu sais lui prouver tout ton amour des plus sincères, et que tu ne délaisse pas ton cœur aimé, et que tu le comble de caresses et de baisers.

 

De mon côté à ma chérie je suis dans la plus grande joie, lorsque je la vois dans le plus grand contentement et le bonheur complet. Souvent mes idées, mes pensées où s'envolent-elles ; il me semble la voir, l'embrasser mon aimée. Mais ? Hélas... Enfin courage.

 

Comme je t'ai déjà dit qu'auprès de mon cœur chéri j'ai penser l'énergie à pouvoir finir ces jours attendus avec la plus grande impatience. Tu sais je ne regretterai qu'une chose c'est ce Beau Paris. Oui je te le dis franchement c'est la capitale. De la quitter j'en aurai le cœur gros. Les belles promenades que l'on fait sont inoubliables. C'est un vrai plaisir lorsqu'on connait. Je vais dans n'importe quel quartier et dans les plus égarés je n'ai aucun soupçon de m'égarer. J'ai des amis à ma guise et j'en suis fort satisfait, surtout le Toulousain je t'en ai déjà causé, nos goûts sont les mêmes ; à mon égard il est d'une amabilité poussée à l'extrême. Dans le 12e nous ne sommes que trois il est vrai que l'on est guère nombreux. Au 1er Mars sûrement je serai au 59e d'ici là je te donnerai des détails à ce sujet. Peut-être que l'on restera ici ; à cette heure rien n'est conclu ; les supérieurs ne sont même pas renseignés sur ce point il n'y a rien de décisif.

 

Ce que je ne regretterai pas ce sera l’armée. D’ailleurs pas besoin d'aller bien plus loin ; tu ne l'ignores pas ; et je suis tout de même obligé de t'avouer que cela m'aura apris ce que c'était que la vie, car je suis passé un peu partout et j'en ai vu, bien vu que j'aurai ignoré complètement. En outre je te dirai que pour celui qui n'a pas la force de caractère, le courage de réfléchir ce qu'il fait peut rammener avec lui les plus grands vices.

 

De voir et d'étudier ce genre de tout les pays t'apprend beaucoup, que cela n'empêche, il vaut mieux la fuite. Par la voix des journeaux tu dois avoir vu tout ce qui se passe à Vincennes ; la fièvre cérébro-spinale fait des ravages, les hommes meurent comme des mouches. Ce que je te dis ce serait un peu éxagéré. Mes parents m'ont écrit à ce sujet et de le leur dire, car ils étaient inquiets. Toujours ne dis rien du tout, sois discrète, sans cela ils ne seraient pas du tout tranquille. C’est fini les batteries ne sont plus consignées à partir d'aujourd'hui, il y avait la 20e et la 3e. Tu as du apprendre l'affaire du brigadier qui s'est pendu dans sa cellule, je l'ai vu, et celui qui s'est tué ou plutôt que le tramway a écrasé littéralement, et aussi ceux qui ont désertés ; tu sais qu'il n'y en manque pas en prison. Que veux-tu ce n'est pas drôle dans des garnisons si grandes.

 

J'ai été tout bouleversé en apprenant cette terrible nouvelle, la mort de Lucienne, j'ai eu une peine très grande. Que veux tu je ne puis me le figurer. Pour moi il me semble que cela ne peut être.

 

Tu dois avoir passé une agréable journée à cette noce ; ce Soual je le connais bien. Aujourd'hui mardi je croyais avoir ce billet si doux ; mais j'ai été déçu ; j'ai l'espoir de l'avoir demain matin.

 

Reçois de ton bien aimé ses meilleures caresses et mille gros baisers de ton

 

 

 

Fortuné. »

 

 

 

« Vincennes le 28 janvier 1910

 

 

 

            Bien chère aimée

 

 

 

Je ne puis t'en dire bien long car je n'ai guère le temps. Tu dois voir par toi-même sur les journeaux ce qui se passe ; et vraiment pas à croire. Toujours que je t'annonce avec le plus grand plaisir que j'ai à nouveau changé de batterie. Suis affecté à la 3e bat. de ce fait je ne changerai pas de régiment et je resterai à Vincennes, et c'était le plus grand point.

 

Je suis en subsistance au Peloton Hors Rang ; je n'ai qu'à dire que je suis à l'apogée de mes désirs. Je ne puis rêver plus haut. Comme tranquillité, comme travail etc... Pas rêver autre chose. L'on est au nombre de 29. L'on peut dire que l'on est les plus heureux du régiment.

 

Que je te donne à nouveau ma nouvelle adresse. Tu mettras le paragraphe ou plutôt les lettres telle que je les faits :

 

12e  Rgt. au P.H.R.

 

A l'ancienne batterie à la 7e pas à me fâcher. J'avais une entière confiance de tous les chefs, et maintenant je te le dis c’était la plus mauvaise du régiment. Tu vois que je n'avais pas trop de veine. Fallait voir ces pauvres bleus de la manière qu'on les traitaient, et punitions, cela me faisait mal au cœur. Sur mon compte je n'ai pas du tout, du tout à me fâcher, au contraire, j'étais bien et où je suis je serai plus que très bien. Peut-être qu'au mois de mars je changerai à nouveau ; mais je ne désirerai que rester où je suis et je ferai mon possible.

 

Vois-tu  que  je  ne  vais  pas  au  59e  pour  aller  à  Saint  Maur  coucher           dans des  barraquements en planches avec ce froid et cette pluie, il vaut mieux rester auprès de Paris.

 

Tu sais que je les ai vues les rues remplies d'eau, la Seine si elle est grande. Quel courant. L'eau boueuse te charriant des matériaux quelconques. L'eau arrive à la clef des ponts, la capitale est inondée, c'est terrible tout se crevasse, il y a des maisons qui commencent à s'effondrer, et puis voilà. C'est Ivry, Charanton, Vitry. Là l'eau arrive jusqu'au 1er étage des maisons, et ces pauvres gens c'est terrible, et quant à nous soldats pas à me plaindre trop, je n'ai guère tripoté de l'eau : tous les chevaux et les hommes de l'eau jusqu'à la ceinture pendant 48 heures et à ce jour on s'en va sans savoir lorsqu'on reviendra. Sauver les sinistrés c'est terrible, et ce soir on s'en va avec 30 cartouches pour chasser tous les apaches, il faut prendre la garde ainsi, vois-tu, et il pleut et neige sans discontinuer.

 

Rester mouillé, et pas mal de malades. Je me fâchais l'an dernier, mais les bleus cette année souffre beaucoup plus que je n'ai fait. Ma chérie tu peux m'excuser je n'ai pas le temps à te causer. Je te conterai sous peu dès que j'aurai un moment à moi je te le donnerai; falloir rendre effets, se rhabiller etc, etc, tu vois ça d'ici.

 

Mille fois merci de ta charmante lettre. Tu sais j'en aurai vu pour mon compte, je m'en rappellerai. Enfin 234 et suis à ma chérie.

 

Mille gros baisers de ton aimé qui ne t'oublie pas

 

Fortuné »

 

 

 

« Vincennes le 13 juillet 1910

 

 

 

Chère Maria

 

 

 

Peut-être vas-tu me trouver drôle.

 

Il me semble faire mon devoir, et je t'expose mon idée. Sûrement après ma libération je reviendrai à Paris pour y rester quelque temps, après avoir passé un assez long séjour au pays. Toujours je l'espère.

 

Tu vois ce que tu as à faire.

 

Je garderai toujours le plus profond et le meilleur souvenir

 

A dieu

 

Fortuné

 

 

 

je t'embrasse »

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Maria à Fortuné.

 

 

 

« 17 Juillet 1910

 

 

 

Est-ce vraiment toi qui as parlé ? Vrai à peine puis-je y croire, après t'avoir entendu causer il y a à peine peu de temps. Il me semble fort qu'il y a là un état de chose qui n'est pas normal. Que veux-tu mes idées tu les connais, ce n'est pas d'aujourd'hui, cela date même d'un temps très éloigné, elles sont sincères, j'en croyais autant des tiennes. Je crois dès lors m'être trompée d'après ce que je vois. Mais je m'en voudrais fort de peser sur la vie de quelqu'un. Quand tu es revenu pourquoi m'as-tu reparlé ? Car les idées que je te devines ne viennent pas du jour au lendemain et ce n'est pas si longtemps que l'on se joue de l'existence d'une personne. Parce que ce retour à Paris me parait louche et surtout après un long séjour à Revel, sachant d'après toi ton utilité à ta maison tu es même en désaccord avec ta dernière lettre. Tu sais ce n'est pas dans mon habitude de cacher ma façon, ma pensée, j'ai tort souvent de la dire mais tampis. Quand tu seras chez toi voici pour le raisonnement que tu te feras. "Non je reste ici, le prétexte que je lui avais trouvé m'a débarrassé d'elle, je l'ai plaquée et je ne repars plus". Il se peut que je me trompe, que j'ai mal interprété les quelques mots que tu m'as adréssés, je le préférerais, mais s'il en est ainsi tu diminueras de beaucoup mon estime à ton égard. Peut-être t'en soucies tu déjà. Dans tous les cas pour moi, tu me crie ton oubli de Paris ce ne sera pas moi cette fois mais si encore tu veux me faire un tant soi peu plaisir dis-moi le plus tôt possible ta raison sec et net, cela me sera indifférent, je suis depuis déjà trois ans habituée à recevoir les chocs sans ménagements, que tout aussi bien je recevrai celui-là, mais je veux être sûre. Chose qui m'a fait une certaine impression c'est que par je ne sais quel instinct tu as très bien su retrouver pour m'écrire la même date que l'année dernière. Je ne perds pas la mémoire il s'en faut de beaucoup et je me souviens de bien des choses que toi tu crois peut-être oubliées. J'écris à Isabeau mais je ne lui cause pas de toi à présent qu'elle est dans la joie, je me garderai bien d'assombrir même très peu l'aurore de bonheur qui se lève pour elle. Elle est ainsi que toute notre famille toute à sa joie et je me fais un devoir de l'y laisser. Donc c'est avec la plus vive impatience que j'attends des explications, moi je suis toujours la même, et ne me redis pas que tu n'as pas reçu ma lettre. Crois toujours à ma meilleure amitié et à mon affectueux souvenir. »

 

 

 

*

 

Fortuné à Maria.

 

 

 

« Vincennes le 21 juillet 1910

 

 

 

Chère Maria

 

 

 

Quoi reçois-je ? Pas possible ce n'est jamais toi qui as agi de la sorte. Tu as été l'objet d'une influence considérable auprès d'une personne vraiment charitable et peut-être trop cruelle. Car ces mots ces réflexions sont plutôt atroces. Ce qui m'a été très sensible. Ou alors as-tu agi dans un moment de colère, où tu ne pouvais te contenir ?

 

De ma part je te demande pour ainsi dire un tout simple renseignement, une idée, et pour voir ton approbation. Peut-être hâté par l'heure me suis-je mal prononcé.

 

Je ne sais ? Ou y a-t-il confusion. A ton vrai dire tu me traites dans des termes qui ne sont pas du tout acceptable. Jamais au grand jamais je n'aurai pu croire et me borner que tu aies d'aussi belles idées et autant de considération à mon égard. J'en suis tout aise tout de même de savoir pour qui tu me prends.

 

D'ailleurs je saurai à quoi m'en tenir vu ton attitude. Peut-être me suis-je trompé. Lorsque je serai libéré, et que je serai chez nous, je n'aurai pu prononcer ou tenir le propos que tu m'exposes.

 

Aussi tu me dis que l'estime que tu as pour moi aura ou a bien diminué. Tu es libre de te penser ce que tu veux, je ne puis y mettre le moindre empêchement.

 

Mon devoir est de te faire observer que je n'ai absolument rien à me reprocher et que j'ai ma conscience tranquille, que je me suis toujours conduit très correctement, sans oublier la politesse et respectueux envers tout le monde. Briser l'existence d'un quelqu'un c'est trop. Je ne crois pas que tu aies causé en ces termes. De Revel. Et que tu étais dans ton calme. J'ai fait en ce qui concerne mes meilleurs sentiments je me suis permis ; c'est d'ailleurs d'après ta lettre, adressée à Toulouse. Je croyais avoir fait tout ce qu'il y a de bien, et tu me reproches cela. En outre. Pour la mémoire on n'a quà se rappeller que de bons souvenirs ; et aussi rappelle-toi de toutes les fredaines et souvent sans raison. N'ai-je pas souvent passé dessus. Il y a déjà quelques jours. Je ne me sentirai pas embarrassé de te les communiquer les unes après les autres. La lettre oui je l'ai reçue et je t'en donne suite. Je suis assez courageux pour le dire. Quand à celle de l'an dernier que tu as l'air de me reprocher je te le jure je ne l'ai pas reçue si tu l'as envoyée elle ne m'est jamais parvenue.

 

J'ai l'espoir que tu auras de meilleurs sentiments et n'apprend jamais d'agir à la légère.

 

Mon meilleur souvenir et mes amitiés

 

Fortuné »

 

 

 

*

 

Maria à Fortuné.

 

 

 

« J'ai reçu hier soir ta lettre, je m'y attendais. Tu me la reproches trop dure et peu acceptable, j'en conviens, je suis de ton avis, le lendemain même je le regrettais. D'ailleurs tu as fait une confusion, les sentiments que je t'expose je suis loin de te les attribuer et jamais je n'aurais cru que tu fis cela car je t'ai toujours considéré comme très sérieux, mais dans tous les cas ta lettre aurait-elle été autre que celle que tu m'as envoyée, la première t'aurait tenu lieu de réponse. Tu as raison j'ai agi brusquement et dans un moment de colère. Mais ta lettre n'était guère encourageante. Peut-être ne t'en rappelle tu pas. Je ne voudrais pas te la reprocher une autre fois mais je veux simplement te la rappeler car elle est aussi très dure et très froide, sûrement toi aussi tu ne devais pas agir avec réflexion. Que penserais-tu après plusieurs lettres bien gentilles si tu recevais : "Après ma libéraration je compte revenir faire un long séjour à Paris après avoir passé peut-être quelque temps à Revel. Vois ce que tu as à faire. Sûrement tu trouveras mes idées un peu drôles. De toi je garderai le meilleur et le profond souvenir. Adieu."

 

Eh bien réellement Fortuné qu'aurais-tu pensé à ma place ? Ce mot "adieu" tu ne le disais jamais. Et là tu me dis simplement ce que tu veux faire mais tu ne me demandes nullement mon approbation. A ce sujet que veux-tu fais à ton idée je n'ai rien à te dire mais pour ma part cela ne me sourit pas, mais je te laisse libre. Quant à cela que veux-tu j'ai eu tord j'en conviens, de m'être emballé, je t'ai fait de peine. Mais toi aussi tu m'en as fait beaucoup et j'étais loin d'être satisfaite. Moi j'ai déjà oublié, tu le sais, pour toi je n'ai jamais pu avoir de rancune, cela m'est impossible. J'ai toujours trop tenu à toi. Veux-tu bien partageons le différend puisque tous les deux nous nous sommes fâchés mutuellement. Et une fois de plus l'éponge sera passée et n'est-ce pas surtout tu le sais je ne veux pas te voir bouder. Maintenant si cela te fait plaisir tu me répondras, tu me diras ce que tu compte faire un peu plus clairement. Et j'espère que tous deux nous serons de nouveau aussi amis et confiants que par le passé. Je compte partir sous peu de jours, je puis partir d'un moment à l'autre pour aller chez mon oncle mais peut-être, et cela dépendra de mon neveu et de ma nièce de Montauban, je n'irai que pour le 15 Août, encore je n'en sais rien, j'y passerai 4 ou 5 jours, je voudrais y ... » (la fin de la lettre manque).

 

 

 

« Revel 21 Août 1910

 

 

 

Mon cher Fortuné

 

 

 

Hier j'ai reçu ta gentille carte. Ma cousine me l'a fait parvenir. Ton gracieux souhait m'a été particulièrement sensible en cette circonstance. Je te remercie beaucoup de ton aimable attention j'en avais grand besoin.

 

Mercredi soir à 9 heures je suis rentrée à Revel après quatre journées plus agréables les unes que les autres. Certes je n'ai pas langui. Tous les jours nous étions 20 à table tu devines. J'ai trouvé tout le monde bien gentil mais ce n'est pas Revel. Le plus ennuyeux c'est qu'il faisait une chaleur atroce. A Castres j'ai causé avec Harlyc en attendant le train. Hier j'ai eu de tes nouvelles par le petit frère. Il m'a dit que tu lui avez écrit la veille. Ils fillent vitte maintenant parfois je suis à me demander si cela peut bien être. Quand tu rentreras à Revel je serai rentrée de Toulouse je pars le 19 et elle est enchantée. Tu me dis de ne pas te faire de réflexions je l'admets mais les gens sais-tu sont parfois bien mauvais, j'ai beau ne pas les écouter car tu sais j'ajoute peu de foi en leurs méchantes paroles mais ils sont toujours là pour vous fâcher. Il n'est pas possible de comprendre leur but. Je les laisse fort tranquilles, ils pourraient bien en faire de même et si je les relève vertement tampis pour eux. Toi seul peux me donner cette consolation. Sais tu que ce soir nous sommes de fête là-bas à la maison chez François, on fait le fenetra nous nous payons du luxe, vois si vous étiez tous les deux. Vendredi tu as du recevoir une carte d'Albine, tu sais qu'ils ne font pas des frais pour les vues. Fortuné chéri peut-être je ne pourrai aller à la gare ce soir, tu n'auras la lettre que mercredi.

 

A bientôt, excuse moi si je t'ai fait cette réflexion à qui le dire si je ne te le dis pas à toi.

 

De celle qui ne t'oublie pas mille gros baisers

 

Maria »

 

 

 

*

 

Lettre du cousin Henri à Maria.

 

 

 

« Toulouse le 13 février 1911

 

 

 

Bien chère cousine Maria

 

 

 

Ta lettre m'a fort surpris m'annonçant la rupture de ton mariage. Que s'est-il passé et à quel mobile s'arrêtte-t-il pour que ses parents aient une si grande influence sur lui il y a certainement deux choses. Si ce n'est au point de vue matériel c'est guérissable et peut très bien s'arranger s'il sait se dégager de l'influence paternelle qui lui imposent sa volonté car si vraiment il t'aime et veut faire de toi sa compagne pour la vie l'empêchement au point de vue matériel n'est et ne doit pas exister car à votre âge deux cœurs unis s'aimant vraimant épris l'un de l'autre l'amour naissant brise tout obstacle tout empêchement lorsqu'il n'est que purement matériel. Si c'est au point de vue moral c'est bien plus compliqué c'est bien plus difficile à résoudre. Quoique l'amour soit fort et veuille résister à tout ce qui pourrait essayer de le briser, il est dans l'existence une seule chose que l'on doit garder intacte c'est l'honorabilité c'est le nom que l'on veut sans tache. Que se passe-t-il chez eux nous n'en savons rien. Est-il, lui, aussi digne qu'il parait l'être de ne vouloir donner son nom que le jour où il sentira que chez lui rien ne viendra le lui souiller ?

 

A celà nous ne pouvons que nous incliner devant la résolution qu'il a prise et puisée peut-être au sein de sa famille et qui en font la cause du retard à votre union. Mais devant ce cas même tu as toi-même deux causes à défendre : ta dignité, et la fierté. Que le cœur batte c'est possible mais il y a une chose aussi sacrée aussi digne d'intérêt c'est ton nom c'est ton père c'est ta mère. Je ne te dis pas cela pour te donner des conseils ni des encouragements, car je vois que par ta lettre tu as le caractère fort et résigné. C'est ce qu'il faut être : laisser le soin à la Providence de guider toute chose, car tout arrive à point qui sait attendre dit-on et notre destin est fait et nous devons le subir.

 

Sois toujours auprès de tes parents une fille aimée et obéissante et ne pas rejeter les conseils qu'ils vous donnent ; au contraire les peser les calculer car la vie est un problème. Dont bien souvent des conseils négligés ou ne pas écoutés sont des mauvais facteurs dont on se passerait si on n'avait pas fait la sourde oreille. C'est pour cela continue comme tu l'as décidé, lui parler 3 ans c'est trop long. Sois libre et indépendante car si vraiment il t'aime et veuille faire de toi une digne compagne ; eh bien je te le répètte s'il a l'amour et l'honnetteté tu l'auras à tes pieds sitôt qu'il sera libre dégagé de tout joug paternel. Mais toi défends toi de faire un pas, reste digne de ta personne la fierté dans ce moment te donnera la force de tout supporter. J'écris à ta maison en même temps qu'à toi.

 

Adieu bien chère cousine Maria, crois à ma sincère affection.

 

Et surtout que je ne sache pas que tu te fais de mauvais sang sans le donner à connaître. Résignation passive et comme tu me le dis toi-même Laissons à la Providence le soin de faire toutes choses.

 

Mais reste libre. Fière et indépendante. De la volonté et étudie bien les conseils que tes parents peuvent te donner. Et tu verras que dans quelque temps tout s'appaiseras aussi bien dans ton cœur comme dans la vie ; on n'oublie jamais c'est vrai ; mais on n'y pense pas autant.

 

Adieu j'embrasse mes petites filles pour toi et si tu peux venir un dimanche au mois de Mars à Toulouse par exemple pour la Mi-Carême je le demanderai à ton père de te laisser venir, nous causerons à la maison un peu plus longtemps

 

Ton cousin

 

 

 

 

 

Henri »

 

 

 

 

 

 

 

*

 

 

 

 

 

Fortuné à Maria.

 

 

 

« Toulouse ce mardi 27 février 1912

 

 

 

Chère Maria

 

 

 

Sans circonlocution, sans phrase... Voici. Je viens auprès de ton bon cœur pour voir si tu veux me pardonner?

 

Sans t'obliger le moins du monde, je désirerai à ce que tu me réponde à l'adresse suivante

 

9e Batterie 57e régiment d'artillerie

 

Quartier Lascrosses

 

 

 

ou à celle-ci : 7 rue Traversière des Chalets. Ce serait préférable au quartier.

 

Tu serais bien gentille. Que j'ai la réponse avant samedi. Vaudrait mieux pour vendredi.

 

Si j'ai ta réponse je viendrai samedi soir pour te voir pour le dimanche.

 

Me pardonneras-tu ? Au plaisir de te lire. Fixe moi

 

Fortuné »

 

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