Etienne Duffillo 3e régiment d’infanterie de marine 1870

Par Jean Escande

 

 

 

"Etienne Duffillo est l'arrière-grand-père de ma mère", nous dit JLC, antiquaire à Castres. Né le 26 Décembre 1862 à Condom (Gers), Etienne Duffillo a été appelé le 7 Décembre 1883 au 3e Régiment d'infanterie de Marine. Fondé en 1838, ce régiment, qui s'est illustré à la célèbre ferme des "Dernières Cartouches" à Bazeilles en 1870, était depuis 1880 stationné à Rochefort. Il fut très employé dans toutes les expéditions coloniales de la fin du XIXe siècle. D'après la loi de 1872, Etienne Duffillo aurait du faire cinq ans de service : en fait, envoyé en Nouvelle-Calédonie, il ne fit que 3 ans et 5 mois, jusqu'au 10 Mai 1887. Il a laissé un manuscrit, fort bien tenu mais inachevé, où il raconte son voyage de Rochefort à Sydney, à bord du transport de troupes "Le Havre". Le voyage n'est pas daté, mais comme il est question au début d'un dimanche 10 Août, et à la fin d'un dimanche 30 Novembre, il est certain qu'il s'agit de l'année 1884, ce qui est corroboré par son livret militaire.

 

Etienne Duffillo, gersois né sous le Second Empire a une bonne instruction : son journal est très convenablement tenu, sans une rature. Il est visible, d'après le style, que si son auteur a pris des notes au jour le jour pendant la traversée, sur quelque carnet depuis disparu, il a ensuite rédigé très proprement ses souvenirs après son arrivée à La Nouvelle. Il est dommage qu'il se soit arrêté en si bon chemin : nous ne saurons rien de son séjour. Mais probablement eût-il autre chose à faire. Etienne Duffillo, d'ailleurs, n'est pas un écrivain professionnel. Il emploie de savoureuses locutions méridionales: "la machine s'est brisée à ne pas pouvoir se bouger de place". C'est un personnage solitaire, qui raconte son voyage comme une navigation intérieure, un individualiste déterminé : nous ne saurons rien ni des marins, ni des officiers, ni de ses camarades les marsouins, ni de sa chambrée dans la batterie, ni des ordinaires des repas, des réflexions de ses commensaux... Il raconte strictement le voyage comme pourrait faire un professionnel de la navigation. D'ailleurs il avait du goût pour les déplacements. Quand, ses cinq ans terminés, il revient à Condom, il entreprit de diriger la petite ferme familiale, et comme beaucoup d'anciens soldats rendus à la vie civile, n'y eût que des déboires. Il prit alors à forfait la diligence Condom-Ansouire, avec quatre chevaux, et dans les années 1900 partait bardé de pistolets... fouette cocher! Avec ses voyageurs, ses paquets à remettre, la poste, les mandats... Il a laissé aussi un cahier de chansons et de textes peu convenables, comme en écrivent les militaires désœuvrés. A la fin est sa signature et la date "Houaïlou le 25 Août 1885" (un mardi).

 

Le transport de troupes "Le Havre" est un rafiot à l'état alarmant, qui rappelle tout à fait le mythique "Amiral Bragueton" de Céline. Insouciant et inconscient, tel est son capitaine. Après un mois de réparation de la machine à vapeur à Melbourne, voilà-t-il pas qu'en tournant autour de la coque, une barque découvre, par hasard, que le gouvernail est non seulement fendu, mais qu'il doit l'être depuis la livraison du bateau, des années auparavant. Tous ceux qui ont connu les transports de troupes Marseille-Alger, du genre "Athos II" ou "Sidi Bel Abbés", à la fin des années 1950, ne s'étonneront qu'à moitié de tels détails. On admirera la traditionnelle insouciance militaire, et au surplus, celle propre à l'Infanterie de Marine... Quand même, cent quatre jours de Bordeaux à Sydney... Il me semble que ça fait beaucoup!

 

 

 

[Nous avons respecté l’orthographe d’Etienne Duffillo].

 

 

 

Mon voyage de Bordeaux à Sydney en 1884

 

 

 

Départ de Rochefort.

 

 

 

C'était un dimanche soir par un brillant soleil que nous sommes partis de Rochefort, pour nous rendre à Bordeaux, pour embarquer sur le transport "Le Hâvre" [sic] qui doit nous conduire dans les outres mers en Nouvelle Calédonie. Nous sommes donc partis vers 4 heures du soir de la Caserne Jouanville, clairons et musique en tête pour nous rendre à la gare. Une fois arrivés nous avons commencé à prendre nos places, mais c'était jamais fini des poignées de main, des embrassades, de tous les camarades qui restaient derrière, en se disant au revoir. Nous voilà donc embarqués en chemin de fer, une fois que ça été fini la musique a commencé à jouer la Marseillaise ; ah! C’est pour le coup par exemple nous n'étions plus soldats, c'était des Lions, allons la machine a donné deux ou trois coups de sifflet, et nous voilà partis en chantant tous en cœur et en disant adieu au pays, que peut-être quelqu'un d'entre nous ne reverra jamais.

 

Nous avons donc passé toute la nuit en chemin de fer et nous sommes arrivés le 11 au matin à Bordeaux. Là par exemple nous n'avons pas eu le temps de nous arrêter, nous n'avons fait que traverser la ville et nous avons embarqué de suite sur le remorqueur "Le Patriote" qui nous a conduit à bord du "Hâvre".

 

Une fois embarqué sur cet immense océan, tout avait l'air de marcher à peu près bien la première journée. La première des choses a été de nous diviser par plats, la moitié à Babor et l'autre moitié à Tribor. Enfin ça commençait très bien, mais deux ou trois jours après en rencontrant le golfe de Gascogne, tout n'était pas roses, le bateau avait beaucoup de roulis, il avait presque toujours l'air de faire naufrage. Je peux dire que je n'étais pas sûr en ce moment, car c'est un vilain endroit à passer. Enfin j'ai pu tout de même le traverser sans accident et après y avoir été quatre jours sans voir de terre.

 

Le 16. J'ai aperçu les côtes de l'Espagne et du Portugal ce qui me rend content, car je me croyais déjà rendu, et il n'y a rien de plus beau comme d'apercevoir les côtes et les rochers du lointain, mais hélas! Non j'étais pas rendu, je n'étais à peine qu'à la 20e partie de mon voyage.

 

Le 18. Ce jour-là j'ai pu voir l'île Madère, les îles Canaries, et les îles des Assards, sur les côtes Canaries j'apercevais des côtes qui me paraissaient d'une immense grandeur, c'est ce qui me faisait prendre du goût dans la navigation, de temps à autres j'apercevais aussi des navires qui croisaient "le Hâvre" ou qui se dirigeaient de toutes parts enfin pour mieux dire sur mer c'est comme sur terre, on aperçoit toujours quelque chose et même de plus merveilleuses que sur terre, car en mer on voit des poissons d'une grosseur énorme que l'on ne peut pas voir sur terre, tels que Marsouin, Cachalot, Maroquin, Soufle, Requin, Baleine, etc... Après deux ou trois jours de mer, après avoir laissé les îles Canaries, le navire a fait escale à St Vincent pour faire du charbon, car celui qu'on avait embarqué en partant ne valait rien. Là j'ai commencé à connaître ce que c'était les pays chauds, je peux dire que le soleil me frappait très bien sur la cocarde et les habitants ne sont déjà pas blancs, tout simplement comme la cheminée, là aussi j'ai connu que j'étais désorienté, car la position du soleil n'était pas la même que dans notre petite France, mais il ne fallait pas que je me plaigne, car je n'étais pas encore rendu à l'Equateur : nous sommes donc restés une journée à St Vincent et nous sommes repartis ensuite pour le Gabon.

 

Le 22. Nous voilà donc partis par une mer excellente et un temps de même, mais deux ou trois jours après nous voilà tombés dans le golfe de Guinée là le roulis et le tangage n'étaient pas rares.

 

Le 25. Pour comble de malheur aujourd'hui 25 Août une tempête s'élève en plein milieu du golfe, jamais je me suis aussi bien cru perdu, je me trouvais justement de planton sur le pont, au moment où le vent soufflait le plus fort, je croyais qu'il m'aurait emporté à la mer tellement il était fort, pourtant j'était cramponné avec les deux mains aux barres de fer, la mer toute rayée d'une manière insensée était toute écumée, les lames d'eau passaient jusque sur le pont, vraiment il faut avoir vu ce qu'il en a été pour le croire ; car je croyais pas aller plus loin ; et cependant j'avais encore huit jours au moins pour traverser ce malheureux passage ; car il est excessivement grand. C'est aussi dans ce golfe que j'ai pu voir des poissons volants, j'avais toujours été incrédule pour croire cela jusqu'à ce moment, il y avait cependant des vieux marins qui me l'avaient dit mais je voulais pas le croire avant d'en avoir vu ; ce sont des petits poissons gros comme des harengs, qui volent fleur d'eau d'une distance d'environ 40 à 50 mètres sans se reposer ; ils se lèvent par milliers quand le bateau vient passer par la multitude, car je crois qu'ils ont peur de voir un déplacement d'eau pareil.

 

Le 26. J'étais pourtant toujours dans le golfe, mais la tempête avait disparu, il n'y avait plus qu'un peu de roulis.

 

Le 27. Ce jour là a été comme le jour précédent : rien de nouveau à remarquer.

 

Le 28. Malgré le beau temps qu'il faisait, la mer était mauvaise, le tangage renversait tout sur le bateau.

 

Le 29. Même temps que le jour précédent cependant ce jour là le temps avait l'air de devenir meilleur.

 

Le 30. Beau temps, chaleur excessive, vue d'un navire à voile dans le golfe de Guinée.

 

Le 31. Dans la nuit la machine a failli se briser, on a été cinq heures sans marcher, ce qui nous a donné un peu de retard pour arriver au Gabon, nous qui étions partis le matin dans l'espoir d'arriver pendant la nuit à Libreville (ville principale du Gabon) on a rencontré des îles sur notre passage, et pour éviter les rochers et les bancs de sable, qui s'y trouvent il a fallu encore attendre au lendemain.

 

Le 1 Septembre. Enfin je me disais si nous allons toujours de ce train là, nous n'arriverons jamais avant le 1er Janvier à Nouméa, il a encore fallu marcher tout à fait à petite vitesse du 1 au 3 Septembre pour ne pas se prendre dans les rochers, car cet endroit est très dangereux.

 

Le 3. Nous sommes donc arrivés à Libreville à 3 heures du soir, et la première vitesse que nous avons eu c'est la visite des nègres qui sont aussi noirs que des corbeaux. Nous avons été huit jours dans ce maudit pays-là ; on le nomme ainsi maudit, car il y fait une chaleur excessive, il se trouve tout à fait sous le tropique du soleil, et c'est un pays très malsain ; là j'ai eu le temps de faire une lettre pour envoyer à mes parents, je suis sûr qu'ils étaient bien en peine de savoir où j'étais.

 

Le 12. Enfin nous avons quitté ce pays du Gabon dans l'espoir d'arriver dans une douzaine de jours au Cap de Bonne Espérance.

 

Le 13. Le navire a très bien marché par une mer très bonne, il n'y avait aucun roulis.

 

Le 14. Malgré beaucoup de lames brisées qui venaient se présenter le long u bateau, nous avons marché encore assez vite, le roulis n’était pas fort.

 

Le 15. Beaucoup de tangage donné par de grosses lames qui semblaient venir de dessous.

 

Le 16. Même temps que la veille cependant les lames étaient un peu moins grosses.

 

Le 17. Tangage et roulis par un temps brumeux, on ne voyait rien en mer, on n'apercevait même pas l'horizon.

 

Le 18. La mer est devenue grosse, et il y a beaucoup de tangage et de roulis, on peut dire petite tempête, car le vent soufflait très fort.

 

Le 19. Même temps que la veille, et on n'a pas espoir d'avoir du mieux, car on approche du Cap et c'est un très mauvais endroit.

 

Le 20. Le soleil est luisant et assez chaud, mais le vent du Sud souffle très froid, il ne fait pas chaud du tout et la mer est très mauvaise.

 

Le 21. La mer fait rage, elle est toute couverte d’écume, on ne bouge seulement pas de place tellement la mer est mauvaise, par moments le navire est couvert de chaque côté par des montagnes d'eau, on se croit engloutis à chaque instant, cependant on s'amuse et on chante de plus fort en plus fort, on se fout du tiers comme du quart.

 

Le 22. Même temps que la veille, seulement le soleil paraît, il fait un peu plus chaud que le 21, mais la mer est aussi mauvaise.

 

Le 23. La mer est devenue bonne, on approche du Cap, on a encore 1° 1/2 à parcourir à midi, ce qui va demander une dizaine d'heures pour parcourir ce trajet-là qui est évalué à la distance de 30 à 35 lieues.

 

Le 24. Nous sommes arrivés à la ville du Cap à 10 heures du matin, j'aurais jamais cru que c'était une si jolie ville, elle est construite au pied d'un rocher immense tout à fait au bord de la mer, on y voit de jolis bâtiments tels que : Palais, Châteaux, Grands Magasins, je peux certainement dire que le temps ne m'a pas duré.

 

Le 24 [sic]. Toute la journée on a embarqué du charbon, ensuite la nuit est venue ; ce que j'ai trouvé de plus extraordinaire c'est de voir la ville et principalement le port tout éclairé par la lumière électrique, une lumière qui est aussi brillante que le soleil et fait du mal aux yeux tellement qu'elle brille.

 

Le 25. On a continué à embarquer des provisions et des marchandises pour Melbourne, mais ce qu'il y a eu de désagréable, c'est que le soir dans l'après-midi, il s'est élevé une tempête à faire peur, l'eau a tombé à peu près pendant deux heures à ne pas pouvoir rester dehors, enfin le temps est resté brumeux toute la nuit.

 

Le 26. Nous nous sommes écartés en rade, pour se préparer à partir, et pour faire quelque réparation à la machine, mais j'aurais mieux aimé être parti, car vraiment il ne faisait point chaud en rade, mais quand le moment n'est pas venu, il n'y a rien à dire, nous avons donc passé toute la journée et la nuit du vendredi dans l'espoir de partir le samedi à la première heure, ce qui arriva le lendemain.

 

Le 27. Nous avons pris la mer par un vilain temps, la mer était excessivement mauvaise, à tout moment les vagues embarquaient par l'avant ou par les flancs du navire, mais ce n'était pas fini ce n'était encore que le commencement, déjà le soir du même jour pour se tenir debout on étaient obligés de se cramponner soit aux barres de fer, ou cordages, enfin dans le métier de marin il n'y a pas à se tromper, on est toujours entre la vie et la mort, mais la vie ne tient que par un fil, tandis que la mort est cramponnée jusqu'au haut de la mâture ; mais ce qui m'ennuie le plus c'est qu'il y a déjà 48 jours qu'on est partis de Bordeaux et on est pas encore à moitié chemin, on y sera que vers le 30 courant, mais je me désole pas pour cela car j'ai une bonne habitude, je vis toujours dans l'espérance, mais heureusement que ce voyage-là est compté sur le congé, parce qu'autrement il y en a beaucoup qui se chagrineraient. Enfin en arrivant à la Nouvelle je pense de pouvoir inscrire sur ce présent cahier 95 ou 100 jours de traversée, ou bien le navire marcherait mieux qu'il a marché jadis.

 

Le 28. La mer continue de faire rage, et à tout instant on se croit engloutis dans les eaux immenses de ce grand Océan mais non c'est comme un vrai phénomène, au moment où l'on croit être engloutis, c'est le moment où le navire se redresse, donc que l'on continue toujours à marcher.

 

Le 29. Toujours le même temps, au contraire je crois que la mer est devenue plus mauvaise qu'elle n'était, car les vagues arrivent en plein pour donner le roulis ce qui fait qu'on se trouve presque tournés cendessus-dessous [sic], la vaisselles à tout moment dégringole de toutes parts, heureusement que ce n'est rien que de la vaisselle en fer, parce que autrement ça ferait du propre, on en serait quittes d'en ramasser les morceaux, et comme ça on a absolument besoin que de la remettre en place, mais tout tombe aussitôt de nouveau. Mais quand la nuit est arrivée, je croyais bien que notre affaire était faite, à chaque instant l'eau passait par-dessus le pont, je suis certain qu'elle aurait jeté un homme par terre à chaque instant qu'elle passait par-dessus ; je peux sérieusement dire que j'ai passé une mauvaise nuit, ainsi que tous mes camarades, car il y en a pas seulement un qui a fermé l'œil de toute la nuit, on était dans l'eau jusqu'aux genoux dans la batterie, c'était la nuit que j'ai trouvé la plus longue depuis mon départ, car c'était la première que je ne dormais pas, mais ce qui m'étonnait c'est les marins qui avaient fait plusieurs fois la traversée, disaient que l'on avait encore rien vu, je ne pouvais pas comprendre, alors, comment ça sera quand ça sera pire.

 

Le 30. Le matin a été comme la nuit précédente avec beaucoup de roulis et de tangage, mais pourtant le jour on se croit plus sûr, et cependant on est toujours de même, surtout dans une mer déserte.

 

Le 1er Octobre. La mer est devenue un peu meilleure, malgré le roulis et le tangage qu'il fait, on a été un peu plus tranquillisés, enfin la journée s'est passée avec beaucoup plus d’espoir que la veille.

 

Le 2. Apparition d'un Brik dans l'Océan Indien, la mer était ondeuse tout à fait car les vagues cachaient par moment ce pauvre petit bateau, par moments on le croyait englouti dans les eaux immenses de ce grand Océan, c'est bien peu de chose d'apercevoir un navire en mer, mais pourtant c'est une distraction, car on ne voit jamais rien que quelques oiseaux qui se promènent autour du navire soit Albatroos ou Damiers et beaucoup d'autres.

 

Le 3. Très bonne mer, il était agréable de voyager sur l'eau par un temps pareil, mais le vent se trouve contraire, les voiles ne peuvent servir à rien, ce qui fait que nous allons un peu moins vite que les jours précédents.

 

Le 4. Il fait un temps froid, il faut absolument la capote pour rester sur le pont et la mer est brumeuse et pas trop bonne, le bateau a beaucoup de tangage et roulis, mais c'est peu de chose à comparer contre ce que nous avons eu aux jours prescrits plus haut.

 

Le 5. Le vent souffle fort venant de l'arrière, ce qui fait que le bateau va très vite, malgré le tangage que ce vent produit, donc que nous avons fait beaucoup de chemin ce qui me déplait point, car je voudrais déjà être arrivé à la station de Melbourne en Australie, mais à ce moment-ci nous avons au moins encore 18 jours à attendre avant d'être rendus à cet endroit. C'est aussi aujourd'hui que Mr Badin, ancien retraité de la Marine, qui se rendait à la Nouvelle, est mort à 6 heures du soir, et a été jeté à l'eau 6 heures après son décès. Je vous réponds que ça paraît tout contraire de voir jeter un cadavre à la mer, on l'a enveloppé à une toile croisée, et on lui a attaché des morceaux de fer aux pieds, et ensuite on l'a monté sur une planche dessus le bastingage, et alors on a levé la planche et il est tombé dans l'eau en disparaissant à la vue de nos yeux.

 

Le 6. A peu près le même temps que la veille, le navire marche assez bien mais seulement nous sommes dans une mer déserte, nous n'appercevons que quelques oiseaux de mer, le temps a été assez bon toute la journée.

 

Le 7. La mer n'est pas trop mauvaise, le navire marche assez bien, le matin on apperçut un navire dans le lointain qui avait l'air de se diriger sur Madagascar, ou enfin dans cette direction, le temps est nuageux mais le soleil a l'air de surmonter par dessus. Le soir ce qui est arrivé, le soleil a parvenu de se rendre maître des nuages, et le soir il a fait beau temps, mais malgré ce beau temps il fait très froid.

 

Le 8. La mer est brumeuse et le vent est très froid et très fort, mais il va bien pour nous car nous allons très vite parce qu'il vient de l’arrière, nous voilà à peu près à moitié chemin du Cap à Melbourne, mais malgré la vitesse que nous allons, le roulis est excessivement dangereux; les vagues par moment sautent très bien par dessus le pont, ce qui fait pas trop de plaisir quand elles attrapent celui qui est en face, mais malgré toute la misère et le mauvais temps que nous avons j'espère que nous arriverons tout de même dans un mois environ et puis je n'en serai pas fâché, car c'est un voyage qui me dure beaucoup, ainsi voilà déjà bientôt deux mois que nous sommes partis de France, depuis ce temps là je n'ai pas eu tous mes aises, ni mes camarades non plus.

 

Le 9. Temps froid, on ne pouvait pas rester sur le pont sans avoir la capote, le vent soufflait avec ardeur, et le sud se trouvant exactement vers le pôle c'est ce qui faisait qu'il en sortait si froid, il ne gèle pas mais c'est bien juste, mais il fait aussi froid comme s'il gelait, la mer est houleuse, c'est-à-dire avec beaucoup de lames brisées qui viennent se heurter le long du navire pour nous faire danser malgré que nous n'en aurions pas envie, enfin le temps ne cesse pas de me paraitre long quoiqu'il y a déjà deux mois que nous sommes partis de Bordeaux, il nous reste encore un grand mois à parcourir pour arriver à Nouméa, car il se trouve énormément loin, surtout si on est obligés de nous arrêter longtemps à Melbourne et à Sydney.

 

Le 10. Toujours un temps froid comme la veille, mais le soleil voudrait cependant venger les nuages, la mer est la même que le 9 et il y a beaucoup de roulis et de tangage, la mer est complètement déserte, on n'aperçoit ni navires, ni terre ni montagnes et n'apperçoit toujours que quelques oiseaux qui suivent au lointain le bateau pour ramasser les quelques débris qui tombent le long du navire.

 

Le 11. Le baromètre a annoncé une tempête, le matin pour le soir ; et la nuit en effet le temps est devenu couvert pour toute la journée du lendemain, et le soir du même jour le vent s'est mis à souffler du Sud Ouest avec une rapidité sans bornes, ce qui a produit la tempête qui était annoncée ; le soir avant la nuit le bateau sautait déjà beaucoup, mais la nuit s'était autre chose, le bastingage passait à fleur d'eau, et la vaisselle s'est promenée toute la nuit dans la batterie aussi bien que le lendemain matin, on trouvait des assiettes de Tribor à Babor, mais puisque nous étions habitués à tout ce potin-là, nous n'y faisions même pas attention. S'est que la nuit s'est passée tout de même avec assez de tranquilité, malgré la tempête qui faisait rage dans les cordages de la mature.

 

Le 12. Le matin le vent soufflait toujours fort, et il produisait beaucoup de roulis, on ne pouvait pas se tenir debout sur le pont, il devait y avoir une revue sur le bateau on a été obligés de la passer dans la batterie ; par ce moyen-là, mais malgré le mauvais temps nous marchions tout de même très vite, le vent soufflait toujours du Sud-Ouest, par conséquent c'était presque de l'arrière, toutes les voiles étaient au vent et elles nous donnaient beaucoup de vitesse, si nous allions toujours comme ça jusqu'à Nouméa, nous serions encore vite rendus, mais malheureusement ce ne sera pas vrai, il y aura encore quelque dérangement jusque là, ce qui dérange beaucoup, enfin avec l'espoir nous arriverons tout de même ; cette soirée s'est bien passée, nous nous sommes très bien amusés, les officiers avaient établi un petit théâtre, qui regardait un peu tout le monde, ce qui fait que tout le monde en a profité. Parmi les soldats il s'y trouvait des comiques et des chanteurs de toute espèce, ce qui occasione l'amusement davantage, on a passé une soirée très agréable par ce moyen ; enfin après ce temps l'heure de la soupe a fait cesser tous ses jeux et la nuit s'est montrée peu de temps après, mais cette nuit n'a pas encore été très bonne, les hamacs se balançaient encore beaucoup, les uns contre les autres, enfin l'habitude de ce bouleversement nous l'a fait oublier que la nuit s'est passée à peu près sans qu'on s'en apperçoive.

 

Le 13. C'était à peu près le même temps que la veille. Le temps est resté couvert toute la journée, et la mer était encore très grosse, par le vent qui soufflait toujours du même côté, c'est-à-dire du Sud-Ouest, mais ce vent comme j'ai dit plus haut était bien pour nous, il venait presque de l'arrière, nous allons très vite, nous avons fait depuis hier à midi aujourd'hui à midi 247 mille, ce qui est évalué à la distance de 82 lieues marines, ou 115 lieues terrestres, par ce moyen là je pense que nous arriverons le 24 ou le 25 à Melbourne (Australie) ce ne sera pas trop tôt, car voilà déjà longtemps que je désire voir ce pays, on m'a dit plusieurs fois que c'était un joli pays, et je voudrais en être sûr, enfin je vis dans l'espoir d'y arriver comme je l'ai marqué ci-dessus. Une fois rendu à Melbourne, malgré la station que nous avons encore à faire à Sydney, je crois qu'il n'y en aura pas pour bien longtemps pour nous rendre a la Nouvelle, tout ce qui me console, le plus fort est passé, je ne parle pas de la mer, car on peut la voir encore plus mauvaise, mais je parle que la plus grande partie du voyage est fait, car on approche du lieu d'arrivée, ce lieu que je demande déjà depuis beaucoup de jours, car je certifie que je trouve le temps bien long sur ce diable de navire.

 

Le 14. Le soleil s'est montré dans l’après-midi, mais malgré celà le vent n'était pas chaud du tout, on aurait enduré facilement la capote pour rester sur le pont, mais ce vent soufflait toujours pour nous, nous allions toujours très vite, mais on avait beaucoup moins de bouleversement que les deux ou trois jours précédents, par conséquent nous nous trouvions tout à fait à notre aise, mais nous n'étions pas encore rendus, on avait au moins une huitaine de jours pour arriver à Melbourne ou du moins on vit à peu près tous dans cet espoir, mais le temps m'apparait long du Cap à Melbourne, c'est vrai qu'il y a environ 2000 lieues mais on mettra bien aussi 30 jours pour parcourir cette distance.

 

Le 15. C'est un peu drôle mais le temps ne change pas, la mer est toujours la même, elle nous donne encore aujourd'hui du tangage et du roulis en abondance, et parfois les vagues embarquent encore sur le pont et le temps est toujours très froid, le vent qui nous vient du nord se charge bien de nous faire souffler dans les mains.

 

Le 16. Même temps que le 15, au contraire il serait presque plus froid, et le vent est plus fort ; il est impossible de rester sur le pont, à chaque instant on est mouillés par l'eau qui embarque ; on se trouve dans une mauvaise saison pour traverser cet immense Océan Indien, qui est très grand dans le sens que nous l'avons pris ; le baromètre a marqué une tempête le matin pour le soir ce qui est arrivé ; le soir la mer faisait rage, le vent qui venait du nord était tellement fort que l'on a été obligés de carguer les voiles, car on craignait qu'elles se déchirent ; jamais j'avais vu la mer si enragée que ce jour là, elle était toute écumée, elle était blanche comme la neige, elle était très belle à voir mais c'était triste aussi, car nous étions dans une triste position parce qu'on ne pouvait pas se tenir debout, enfin la journée s'est passée avec beaucoup de bouleversement, mais la nuit n'était pas encore commencée, quoiqu'elle n'a pas été si mauvaise que je l'aurai cru, le temps s'est éclairci et la tempête a cessé vers 10 heures 1/2 ou 11 heures du soir et après on a pu dormir tranquiles.

 

Le 17 Le temps a été beaucoup meilleur que la veille, car le soleil s'est montré par intermitence ; c'est malheureux qu'il y avait quelque gros nuage qui venait nous le faire disparaitre, sans celà nous aurions eu un très beau temps toute la journée, quoique le vent n'était pas chaud, on était malgré celà contents d'appercevoir le soleil car il y avait déjà deux ou trois jours qu'il nous avait disparu, et par un temps froid comme il l'était on ne se lassait pas d'avoir la chaleur du soleil à supporter, car elle n'était vraiment pas de trop dans la saison où nous étions.

 

Le 18. Le temps n'a pas continué d'être beau comme hier matin, le vent souffle toujours très fort et très froid, mais il nous vient bien comme il faut, il nous vient juste de l'arrière, ça fait que nous marchons très vite, à ce qui parait nous n'en avons plus que pour quatre jours pour arriver à Melbourne. Vers midi la pluie a commencé à tomber si fort qu'on a fait descendre tout le monde dans la batterie, et voilà que la nuit ne se préparait pas déjà trop bien, parce que la mer se faisait mauvaise, les vagues n'embarquaient pas mal tout l'après-midi sur le pont, l'eau rentrait aussi dans la batterie par les sabords ou croisées qui ne jointaient pas bien et le roulis et tangage étaient toujours forts comme les jours précédents, je peux dire que la nuit a été très mauvaise, jamais on avait passé une si mauvaise nuit depuis que nous sommes à bord, les matelots me l'ont raconté le lendemain matin qu'ils n'avaient pas dormi de toute la nuit, on croyait en un moment que le navire avait coulé à fond, mais voilà quand même que le jour est arrivé.

 

Le 19. Mauvais commencement de journée, le vent toujours très fort et très froid et le roulis et tangage toujours très fort. Je peux même dire à pas pouvoir se tenir debout, vers 10 heures le soleil a paru vouloir se montrer un peu mais voilà que vers 3 heures du soir il s'est levé un brouillard sur mer et une petite pluie fine, mais qui mouillait beaucoup quand même ; mais vous savez on la laissait bien tomber, on était dedans, les officiers avaient continué comme le dimanche précédent ce petit théâtre qui nous distrayait un peu, enfin la nuit est venue assez bonne, quoique le roulis et tangage étaient toujours forts.

 

Le 20. Le matin très froid et le vent toujours très fort, voilà que le soleil veut s'esseyer de paraître, en effet il parait dix minutes, un quart d'heure et après il arrive un petit coup de brouillard et toute la matinée comme ça ; c'est égal j'ai vu des varégues [varechs ?]ce matin sur l'eau ce qui me fait dire que nous n'allons pas tarder à arriver à terre, on va y arriver mercredi ou jeudi à ce que l'on dit ; enfin toute la journée du lundi s'est passée à peu près, le soleil paraissait par moments comme je l'ai dit plus haut, mais c'est égal pas trop mauvaise journée. On a presque resté toute la journée sur le pont, et avec ça le roulis et tangage avaient beaucoup diminué, enfin on ne se croyait plus sur mer à comparer à quelques jours précédents dont on ne pouvait pas se tenir debout sur le pont, enfin la nuit est arrivée, le vent a céssé, il souffle bien encore un peu mais il n'est pas assez fort pour toutes les voiles, on n'a pu laisser que les deux voiles du grand mât, enfin la nuit s'est bien passée sans rien de remarquable.

 

Le 21. La matinée a été très bonne, le temps s'est bien arrangé, il ne fait pas si froid et le vent ne souffle presque plus, parce que c'était le vent qui rendait le temps si froid, mais il faut pas se figurer, un temps froid comme en plein hiver en France ; la fin de la journée a été aussi très bonne, le soleil s'est montré jusqu'au soir et assez chaud, presque plus de tangage ni de roulis et le temps tempéré pas trop froid, ni trop chaud, enfin la nuit s'est bien passée aussi.

 

Le 22. Beau temps, bien tempéré, le bateau ne remuait pas seulement, quelle différence qu'on a trouvé depuis quatre ou cinq jours avant, mais c'est égal on est bien plus contents d'avoir un temps comme ça que d'avoir froid comme les jours précédents, il faisait si froid qu'il n'y avait pas moyen de rester sur le pont avec le vent si fort et le roulis qu'il faisait.

 

Le 23. Toujours beau temps, ça se connait que nous arrivons bientôt à terre, parce que le soleil devient de jour en jour plus vigoureux, c'est ce jour-là qu'on nous a fait prendre les couvre-nuques, mais c'est égal nous n'en aurions pas besoin encore, le soleil nous brûle pas comme quand nous sommes passés au Gabon. Le soir vers deux heures apparition d'un navire à voile, il était à l'horizon et on ne voyait que la pointe des mâts, je parie qu'il était au moins à 100 kilomètres parce que en pleine mer l'horizon est à 70 kilomètres et en ne voyant que la pointe des mâts il se trouvais bien près du double chemin. Tout le reste de la journée s'est passée en merveille, enfin la nuit est arrivée et on est allés se coucher sans voir la terre pourtant nous n'en étions pas loin. Vers minuit les officiers du bord ont apperçu les montagnes, alors on a stoppé jusqu'à deux heures du matin.

 

Le 24. Alors à 2 heures le navire est reparti à petite vitesse, le matin à 5 heures quand nous nous sommes levés nous avons vu la terre, jugez de notre contentement, depuis déjà 30 jours que nous étions partis du cap, sans voir un pouce de terre, rien que de l'eau et du mauvais temps, le matin vers 7 heures nous avons apperçu un phare dont nous étions vis à vis à peu près à 1200 mètres de la côte. Là on a arrêté le navire et on se faisait des signaux avec des pavillons, et le pilote répondait aussi lui-même avec des signaux, à chaque instant on voyait des petits navires à vapeur qui se promenaient le long de la côte, ce qui nous semblaient bien drôle de les voir, parce que ça paraissait très petit à l'égard de nous, nous alons rentrer dans ce port à ce qu'il parait dans l'après-midi, ce qui nous tarde beaucoup pour voir la ville de Melbourne. Je ne sais pas pourtant si nous entrons dans le port comme au Cap, si c'est comme au Cap nous allons être chics, parce que à ce qui parait c'est une ville comme des plus belles de France, enfin j'espére que nous saurons quelque chose tout à l'heure, voilà : qu'on avait resté à peu près une demi-heure arrêtés, quand un grand accident nous est arrivés, quand on a voulu repartir, la machine s'est brisée à ne pas pouvoir se bouger de place, nous voilà bien campés. Voilà qu'on a fait des signaux au sémaphore de nous envoyer un navire pour nous remorquer jusqu'à Melbourne, et voilà qu'on croyait que le remorqueur allait arriver le soir vers 9 heures, parce que nous n'en étions pas bien loin, de Melbourne, à peu près à une centaine de kilomètres, et voilà que nous avons resté là toute la nuit sans bouger. C'est malheureux quand même quand il faut rester là sans pouvoir ni avancer ni reculer, enfin toute la nuit s'est passée comme ça en attendant le navire et les fallots de détresse ont brûlé tout le temps (signe d'accident).

 

Le 25. Voilà que quand je me suis levé ce matin je croyais me trouver à Melbourne, mais non c'est pas vrai, nous étions toujours au milieu de ce grand Océan, toujours à la même place et le remorqueur ne se montrait pas encore. Nous sommes encore heureux que cet accident nous est arrivé à cet endroit, s'il nous était arrivé il y a quinze jours quand nous étions au milieu de ces grands et de ces tempêtes de cet immense Océan Indien, il aurait peut-être fallu rester un mois à la même place, avant qu'on voit un navire pour   nous porter secours,      parce    qu'on en voit que rarement dans ces mauvais                passages. Enfin vers 9 heures du matin, on a apperçu tout à fait au loin à l'horizon, un bateau qui était dirigé de notre côté, petit à petit il s'est approché, quand on le voyait de loin on croyait bien que c'était celui qui devait nous remorquer, enfin toujours il s'avançait, et à mesure qu'il s'approchait on voyait qu'il tirait tout droit par devant nous, il venait pas du tout pour nous porter secours, c'était simplement un petit voillier qui voyageait et qui s'est rencontré de passer par là ; quand il a vu quand même qu'on lui marquait les signaux de détresse il s'est tout de même arrêté, alors on a continué à lui faire des signes, il a bien répondu pendant un petit moment, et voilà qu'après il a repris son chemin, et nous sommes toujours là et nous y resterons jusqu'à ce qu'on viendra nous en sortir, nous risquons rien de nous en sortir nous-mêmes. On était donc tout le temps là à apprendre et à espérer et voilà que le jour s'écoulait petit à petit, c'était déjà 6 heures du soir que nous appercevons tout à coup au lointain de la fumée, enfin c'était le remorqueur qui venait nous sortir de ce maudit endroit. Sitôt qu'on l'a apperçu, on s'est mis à gueuler "nous sommes sauvés !" à plusieurs reprises, pourtant nous n’étions pas bien en danger, mais c'est égal il nous tardait d'arriver à Melbourne, enfin on le voyait toujours s'approcher petit à petit ; il nous semblait qu'il lui faudrait le moins deux ou trois heures pour arriver, mais voilà qu'il n'a seulement pas mis une heure. Alors de suite qu'il a été arrivé on l'a amarré et nous voilà en chemin pour finir d'arriver dans le port, enfin nous avons regardé un petit moment à filer, mais voilà que la nuit s'est montrée et nous sommes allés nous coucher.

 

Le 26. Le lendemain matin sitôt le réveil tout le monde est monté sur le pont au galop, croyant d'être arrivés à destination c'est-à-dire à Melbourne, mais non pas du tout nous n'étions pas encore rendus, mais enfin on marchait toujours et on voyait la terre tout le temps ; belle plaine de verdure et paraissait bien cultivée, enfin c'était très beau, on voyait une quantité de navires qui venaient de tous les côtés pour se diriger comme nous dans le port indiqué ci-dessus. Vers 9 heures du matin on a commencé d'appercevoir devant nous, parce que le temps était très clair, les maisons de la ville de Melbourne. On s'avançait petit à petit, et plus on avançait mieux on voyait, alors vers 11 heures on commençait d'arriver vis-à-vis le bout de la ville, parce que la ville est tout le long du fleuve, parce que Melbourne n'est pas tout à fait sur le bord de la mer. Pour y arriver il faut remonter un fleuve immense c'est censé comme la Gironde à l'endroit où nous nous sommes embarqués c'est-à-dire à l'endroit où elle se jette dans la mer. Nous sommes donc arrivés vers midi ; là nous sommes en rade à peuprés à 500 mètres du quai pour aujourd'hui, là on a démarré le remorqueur, et puis il nous a laissés. Alors sitôt que nous avons eu arrêté, un médecin est venu à bord, pour regarder si on ne portait pas d'épidémies. Parce que s'est suspect quand un navire arrive de si loin et s'il portait des maladies dans un port comme ça, ça serait pas des petites choses. Une fois que nous avons eu arrêté, les anglais si curieux se promenaient par là tout alentour du navire avec des petites barques, il y en avait peut-être 50 nous regardaient, faisaient le tour d'un côté de l'autre, et de nous voir comme ça tous habillés en blanc, ils nous prenaient pour des forçats. Alors on a sonné au sergent de semaine, et le commandant a fait mettre tout le monde en bleu, et après voilà que dans l'après-midi, et puis ils n'ont plus eu peur de nous, ils sont arrivés à bandes ; femmes et enfants et nous autres depuis deux mois que nous n'avions pas vu de femmes, nous étions tout le temps à les regarder et à les faire blaguer et quand même toutes celles qui étaient venues c'étaient des femmes bien apprivoisées, je pense même que c'était des femmes publiques.

 

Il est venu aussi des français, des types qui avaient déserté ou autre chose, il y en a aussi qui n'ont pas fait de scandale à la France, mais seulement ils sont allés là pour travailler, parce que s'est un des meilleurs pays du monde, là à ce qui parait l'ouvrier y fait ce qu'il veut et gagne beaucoup d'argent, mais aussi celui qui voit cet endroit c'est magnifique, il n'y a pas un port en France qui soit remarquable comme celui de Melbourne. Pour la ville c'est une très belle ville, au moins ce qui parait le long du port. Il y a des magasins remarquables, enfin on dit que la population est de 228.000 habitants sur ceux là on dit qu'il y a 40.000 français.

 

C'est égal on peut dire que l'anglais est le plus fort, du monde entier pour la navigation et pour avoir des belles colonies ; c'est si beau qu'on ne peut pas le dire assez, car il faut le voir pour le croire. Enfin la nuit est arrivée et nous voilà toujours là en rade à ce qui parait demain nous allons nous avancer au quai pour se mettre à travailler à la machine, on dit qu'il y a du travail pour un mois. S'il faut que nous restions là tant de temps nous allons nous ennuyer, surtout si on nous laisse pas descendre à terre.

 

Le 27. Le lendemain toute la journée les anglais sont venus à bord avec des petites barques pour apporter des choses, le commandant du navire a acheté de la viande fraîche, parce qu'elle est bon marché et il nous en a fait manger, il y avait longtemps qu'on en avait pas mangé ; enfin le jour se passe on est toujours là ; il fait très beau temps, il fait même un peu chaud, mais enfin on peut bien la supporter il faut pas se plaindre le temps est bien tempéré.

 

Le 28. Toujours le même temps que la veille, c'est-à-dire très beau, les anglais continuent toujours de porter des marchandises. Ce matin il est aussi venu des ouvriers pour voir la machine, mais on n'a pas encore commencé de la réparer ; pourtant j'aimerai bien mieux repartir, que de rester tant de temps sans descendre à terre.

 

Le 29. Aujourd'hui on continue à décharger des marchandises, mais pour la machine jamais il se présente des ouvriers, à ce qui parait elle va passer à l'adjudication, ce qui demandera toujours huit jours avant qu'ils commencent d'y travailler ; aujourd'hui aussi cinq ou six sergents sont descendus à terre.

 

Le 30. Nous sommes toujours à la même place en rade, peut-être à 300 mètres du port, on dit pourtant que demain nous allons aller à quai ; pour commencer les réparations de la machine, ce qui arriva en effet voilà que nous sommes allés là à bord du quai et voilà que le lendemain il est arrivé un grand nombre de mécaniciens pour se mettre à l'œuvre.

 

Au bout de 3 ou 4 jours, le matin on nous a fait sortit pour faire une petite marche militaire, une espèce de promenade, mais seulement on nous faisait sortir sur quatre rangs, ce qui nous embettait assez. Mais nous étions contents quand même d'un côté de mettre pied à terre, depuis plus de trois mois que nous étions sur ce maudit bateau, ça nous déplaisait pas du tout de descendre pour essayer si nous savions encore marcher. On descendait donc chaque matin toute la bordée qui n'était pas de quart, et nous allions là sur une plage sur le bord de la mer. Les officiers se sont apperçus que ça nous ferait du bien de nous faire baigner, et je vous réponds qu'ils n'avaient pas mal pensé, parce que s'était pas le besoin qui nous manquait. Le lendemain nous avons donc pris un pantalon blanc et nous nous sommes baignés : je me suis baigné 4 ou 5 fois mais qu'il faisait bon, nous étions là sur le sable et nous allions peut-être à 100 mètres et même plus, nous n’avions de l'eau que jusque sous les bras. L'eau était chaude et douce, d'ailleurs il n'y a rien de plus bon qu'un bain de mer. En attendant la machine s'avançait de se réparer, parce que les ouvriers travaillaient jour et nuit. Voilà donc que ça été fini le 20 Novembre, il s'en allait temps quand même depuis le 26 Octobre que nous étions là à pauser. Ca a été donc fini ce jour-là et on devait partir le lendemain.

 

Le 21 Novembre. Le matin deux remorqueurs sont arrivés pour nous sortir du port et nous ont conduis en rade où nous étions en premier lieu pour partir le soir. Alors là le commandant du bord a fait venir une quantité de viande pour en avoir une provision jusqu'à Sydney dont nous avons trois jours de marche pour y arriver. Voilà que nous étions prêts à partir le soir vers 6 heures qu'une petite barque vient à passer dérrière le bateau et s'apperçoit que le gouvernail était fendu et même presque cassé, alors le commandant de bord est allé le visiter et alors il n'a pas osé se mettre en route sans le faire réparer, et on prétend qu'il était comme ça depuis que le bateau était construit, alors nous n'avons pas pu encore partir de ce soir-là, nous avons resté toute la nuit en place et le lendemain matin les deux remorqueurs sont revenus pour nous reconduire une seconde fois dans le port où nous avions resté pendant une vingtaine de jours, et là on s'est mis à le réparer ce qui a duré jusqu'au 26 que nous sommes partis. Oh ! Alors vraiment quand on a vu ça on ne croyait plus de sortir de cet endroit, on ne croyait jamais arriver à Nouméa.

 

Le 26. Alors ce jour-là à 1 heure du matin nous sommes partis pour Sydney par une belle journée, à présent la machine fonctionne très bien, en partant on trouvait tout ridicule de marcher depuis trente jours que nous étions là en place, ça commençait quand même de compter. Aujourd'hui il fait une belle soirée, la mer est très calme et un excellent soleil, jamais je n'aurai cru qu'au mois de Novembre il faisait un beau temps comme ça, présent ici il fait un temps comme le mois de Mai, et Juin en France, c'est un bon climat tout à fait. Voilà que vers six heures du soir la mer est venue un peu grosse et le bateau à présent se trouvant pas beaucoup chargé il est venu un roulis et un tangage très fort qui nous tournait presque la tête. Il y en avait même beaucoup qui ont recommencé de dégobiller comme en premier lieu, ce qui n'est pas étonnant du tout depuis 30 jours que nous étions là à la même place sans bouger. A moi aussi la tête commençait à me tourner, mais seulement quand je me suis apperçu de ça, je suis allé me mettre dans le panier, je me suis endormi puis ça a fait le pied le lendemain j'ai plus rien senti.

 

Le 27. Aujourd'hui le matin la mer très bonne, les roulis avait disparu et à présent nous trouvons charmant de voyager, c'est comme si nous marchions même sur terre, nous suivions toujours les côtes. Le soir vers quatre heures nous nous en sommes un peu éloignés. Vers 5 heures nous n'appercevons plus rien, rien que de l'eau, nous sommes en pleine mer ; enfin la nuit arrive nous allons nous coucher et la journée s'est passée très bien, bien bonne mer et nous avons marché assez vite, nous avons vu plusieurs petits bateaux à vapeur, des petits courriers qui font le service de Melbourne à Sydney le long des côtes.

 

Le 28. Ce matin un joli temps, le vent est un peu fort mais c'est égal, la mer est très bonne, pas de roulis ni de tangage du tout et le soleil a paru à l'heure habituelle, enfin une jolie matinée. Hier au soir quand nous nous sommes couchés, on avait perdu la terre de vue, mais ce matin au réveil nous l'avons apperçue de nouveau et nous y étions même très près ; de jolies côtes pleines de verdure et d'arbres qu'il n'y a pas en France. Ce matin on a apperçu aussi une grande multitude de poissons nommés Marsouins qui venaient jusqu'à deux mètres du bateau. C'est des poissons énormes et très jolis, ils sont à peu près de la grosseur d'un veau, ils font des sauts sur l'eau et ils replongent à 5 ou 6 mètres plus loin. Vers 9 heures apparition d'un navire à voiles 3 mâts au large en pleine mer qui filait du côté de Melbourne, du côté opposé à nous. A 10 heures voilà que le bateau s'arrête tout d'un coup. Oh ! De suite on se dit voilà la machine qui s'est encore cassée, on ne savait trop quoi se penser, on n'y s'y fiait déjà plus, mais pas du tout c'était pas grand chose, c'était seulement le tuyau qui ramène l'eau qui vient de l'élysse qui s'était crevé, ce qui demande un peu de temps quand même pour le réparer. C'est égal c'est pas de chance, on se dit entre nous c'est pas possible il est vraiment maudit ce bateau. Voilà qu'on se met à y travailler et il y en a eu jusqu'à huit heures, ce qui fait que nous sommes restés en place arrêtés depuis 10 heures du matin jusqu'à 8 heures du soir, ce qui nous a pas avancés du tout pour nous rendre à Sydney, enfin à 8 heures on part, la nuit n'a pas été très mauvaise, mais la soirée étant arrêtés là en pleine mer, le vent était un peu fort le bateau avait beaucoup de roulis et tangage et il y en avait beaucoup de malades, il y en avait même beaucoup qui rendaient leur diner et même celui de la veille.

 

Le 29. Le lendemain matin en nous levant nous avons apperçu les côtes nous n'en étions même pas bien loin, le vent soufflait très fort et le bateau dansait assez, enfin après vers 6 heures le soleil a paru et il faisait assez bon rester sur le pont, nous marchons toujours en grande vitesse, nous approchons de Sydney, parce que le long des côtes nous appercevons des barques de pêcheurs, ce qui nous fait dire que nous allons arriver dans tarder. Dans l'aprés-midi le temps s'est couvert, le vent est venu plus fort et il a commencé à tomber une pluie fine très fine mais qui mouille beaucoup, enfin nous sommes obligés de nous renfermer dans les batteries ; on monte, on descend, on voudrait rester sur le pont pour regarder et on ne voudrait pas se mouiller, parce qu'on voyait plusieurs navires qui faisaient comme nous, qui se rendaient de tous les côtés pour rentrer dans le port, enfin l'eau tombe toujours, la nuit arrive et voilà qu'on se couche dans l'espoir de nous trouver rendus demain matin au réveil.

 

Le 30. En effet ce matin en nous levant nous n'étions pas tout à fait arrivés, mais nous n'étions pas loin. Voilà que le pilote arrivait juste ce matin au matin pour nous rentrer dans le port, parce que c'est bien difficile à y rentrer, celui qui ne connait pas bien l'endroit n'oserait pas s'hasarder à y passer parce que le passage n'est pas bien large, on passe entre deux gros rochers qui sont hauts à perte de vue.

 

Je vous réponds quand l'Angleterre aura la guerre avec quelque puissance, n'a pas besoin d'avoir peur qu'on lui prenne Sydney, par mer, parce que c'est imprenable, parce qu'il n'y a que ce passage et je vous réponds que personne n'y passera s'ils ne le veulent pas. Enfin voilà que vers 7 heures nous arrivons là presque devant le port à peu près à 30 mètres du quai et on a mouillé là. L'on dit que demain l'on va aller à quai, on ne peut pas y rentrer d'aujourd'hui parce que la douane n'est pas venue, et on ne peut pas rentrer sans qu'elle vienne, elle n'est pas venue parce que chez les anglais le dimanche on ne fait rien du tout. Nous sommes là en rade dans un très joli endroit nous avons la terre de chaque côté, et c'est très joli, il y a des arbres verts, comme les cyprès chez nous, on dirait des jardins anglais comme on appelle en France, enfin je veux dire que le terrain c'est comme des jardins préparés exprès. Nous avons donc resté toute la soirée au même endroit. Les officiers sont descendus à terre, un petit vapeur est venu les chercher.

 

Le 1er Décembre. Le lendemain matin comme on l'avait dit la veille on croyait d'aller à quai mais pas du tout vers 7 heures du matin il est arrivé des bateaux chargés de charbon, et on a commencé la manoeuvre, comme ça on va rester en rade. Après aussi dans la journée un autre bateau est arrivé pour prendre les marchandises qu'il y a pour Sidney, comme ça on charge et on décharge tout à la fois, ce qui fait qu'on partira plutôt, on parle déjà de partir le 4 ou le 5. Aujourd'hui aussi il est venu des marchands à bord, qui ont porté des petites bricoles, des fruits de toute espèce, tels que cerises, prunes etc, et aussi des fruits coloniaux inconnus en France tels que Ananas, bananes, cocos etc. et beaucoup d'autres dont je connais pas le nom. Toute la journée se passe comme ça, toujours décharger du charbon, le soir je croyais qu'ils allaient quitter mais non pas du tout, ils ont travaillé toute la nuit, ils se remplacent les uns les autres parce que c'est trop pénible de remuer le charbon.

 

Mardi 2. [Le manuscrit s'arrête là].

 

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