A propos de la du Barry, à Toulouse

A propos de la du Barry, à Toulouse

 

Par Jean Escande

 

 


Cette curieuse lettre pleine de renseignements politiques serait du vendredi 18 Janvier 1771, veille de la dissolution du Parlement. "M. l'abbé Terray remplit les fonctions de la Marine": quand ? (voir Malet Isaac XVIIIe p. 473-5).

Quant à la lettre plaisante "dattée du 13 de Paris", on peut penser qu'elle est bien plutôt écrite de Toulouse... car il s'agit d'un pamphlet sur la Du Barry et sa belle-sœur : on devine que les Toulousains qui connaissaient parfaitement les du Barry pour les avoir eu sous les yeux, pauvres hères, jusqu'à l'ascensions extraordinaire et ignominieuse de Guillaume, le mari postiche de Jeanne Bécu, favorite royale mariée, titrée et rentée pour les besoins de son concubinage, devaient se pourlécher à la lecture de ce genre de littérature, qui fourmille d'allusions transparentes pour les contemporains avertis : "les ministres qui leur résistoient etoient exillés" : il s'agit de Choiseul, disgracié en décembre 1770. Le "beau-frère de la fée en faveur", qui envoie faire égorger les agneaux du royaume d'Astrakan pour s'en faire des fourrures, c'est Jean du Barry, le maquereau, qui a procuré Jeanne Bécu à Louis XV et lui a fait épouser son propre frère, Guillaume du Barry, pseudo "comte", pour qu'elle puisse paraître à la Cour. Jean du Barry, qui appelait en privé Louis XV "le frérot" "dépensoit avec une maîtresse chaque année 60000" : l'anonymographe est bien informé, Jean du Barry vivait avec Mlle de Rabaudy-Montoussin, qu'il épousa plus tard ; et il rentra à Toulouse en 1772 possesseur de 60.000 livres de rente. Il essaya plus tard, mais sans succès, de rééditer son exploit de fournisseur royal avec sa propre femme près de Louis XVI, mais la manœuvre échoua, le vertueux roi serrurier n'étant pas orfèvre dans ce domaine.

"La belle-sœur d'une fée" : il s'agit de Chon, belle-sœur postiche de la Du Barry. Avec une autre sœur, Bitschi, elles étaient restées à Versailles pour surveiller la "poule aux œufs d'or", autrement dit la favorite. Elles s'appelaient, de leurs vrais noms, Françoise et Marthe du Barry.

"En général, cependant, les maris des fées n'étoient pas merveilleusement bien traités" : Guillaume, le mari complaisant, vint après son "mariage" vivre à Toulouse avec sa maîtresse (1770) Madeleine Lemoine, qui lui donna deux fils. On trouve sur les du Barry une foule de renseignements curieux dans G. Lenore : Autour de la du Barry (Vieilles Maisons, Vieux Papiers 1e série).

Dans le premier corps de la lettre, M. le Chancelier est Maupeou, et c'est d'Aiguillon qui est mis au cercueil. La Du Barry est une créature de Maupeou et d'Aiguillon contre Choiseul : la lettre est sans doute inspirée par le cabinet de l'exilé de Chanteloup. Voir du Barry (Korn, 2) Terray : Faÿ 106-108. Larousse XIXe : Maupeou, Terray.

 

« Du vendredy 18

 

Le Parlement a repris ses fonctions après avoir fait ses protextations très fortes contre l'édit, cet avis passa de 58 vois contre 56. Et à la faveur des vois perdues

M. le Premier Président doit se rendre à Versailles le 13 au soir pour remettre au Roy les arrêtés. On scait déjà qu'il sera mal reçu.

Le département des Affaires Etrangères est toujours vacant, M. l'abbé de la ville en fait les fonctions par provision. Il travaille trois fois la semaine tette à tette avec le Roy qui signe tout.

M. de Montemar pretta le serment le 6.

M. l'evêque d'Orléans qui tient la feuille des Bénéfices est en l'air. On parle de M. l'ancien evêque de Limoges pour le remplacer.

M. l'abbé Terray remplit les fonctions de la Marine.

M. le chancellier donne mouvement à tout. On assure à Toulouse et la nouvelle est très publique que M. le comte est procureur général. Plusieurs personnes disent qu'il en a reçu lui même la nouvelle.

Je ne scay pas si je vous ay mandé le singulier jeu de mot arrivé de Paris par le courier dauparavant en tout cas le voicy :

 

Lorgueil, Verteuil, Vandeuil et Choiseul

Ont mis Da.... au cercueil. »

 

 

« Extrait d'une lettre plaisante dattée du 13 de Paris

 

Tu as lu dans la junesse mon cher, des comtes de fée et dit des fois alors : "Ah si je pouvois jamais voir les prodiges opérés par les fées !" Eh bien mon cher amy ce que tu as souhaitté de voir je le vois à Paris et tu le verrois ainsy que moy si tu venois nous y joindre car que faisoient ces fées ancienes dont on nous conte de si belles choses ? Elles portoient pour cent mille écus de pierreries sur leurs tettes, elles avoient dans leurs boudoirs cent mille écus de magot, elles fendoient les airs dans des chars qui coutoient cent mille écus. Elles couvroient leurs Blanches Epaules d'écharpes brodées qui valoient cent mille écus, enfin il n'y avoit aucun ameublement ches elles au dessous de ce pris. Elles sétablissoient à la Cour des Rois, elles sen faisoient aimer et gouvernoient leurs empires, les Ministres etoient à leurs piés, ceux qui leur résistoient etoient exillés. Mais ce qui anonçoit le plus leur puissance c'est que leurs parens et leurs aliés partisipoint aussy aux Privilèges de la féérie. Ainsy tous changeoient d'état de tittre et de condition. Le beau frère d'une fée en faveur envoyoit au Royaume Dastraca égorger les brebis pour oter de leur sein des petis aigneaux dont la courte toison put servir de fourrure à son habit, et payoit un autre fourrure 12800... comptant, sans avoir de terres ny de contrat. Il dépensoit avec une maitresse chaque année 60000... et bien davantage pour l'entretien et la pompe éclatante de sa propre maison. La belle-sœur d'une fée vouloit avoir aussy sa Cour. Elle recevoit à sa toilette tous les grands de l’empire, elle leur disoit : "Mais qui faire Ministre des Affaires Etrangères ? En véritté cella est inquiétant : tous ces messieurs nétudient point le Droit Public, ce sont les secrétaires qui devienent les maîtres, il faudra y mettre ordre. " Ma foy cest quil faut donner la place à qui la méritera par les talents ; un simple secrétaire, un roturier quimporte pourvu quon fasse le Bonheur de l'Empire.

La belle-sœur de la fée avoit un bibliotécaire parce que depuis quelle etoit venue à la Cour elle vouloit être Bel Esprit, et elle disoit à son Bel Esprit favory : "Laissez aboyer ce vieux fol aux bords de son lac, il scait aujourdhuy que je vous protège : oh je vous jure quil en mourra de douleur !" Alors le Bel Esprit répondoit : "Mademoiselle, personne n'a tant d'esprit que vous à la Cour, excepté la fée. Voicy quatorze cent volumes que j'ay choisy pour tous les deux, vous allés etoner lunivers." La belle sœur répliquoit : "Cet bon", et passoit ensuitte dans un cabinet où tous les faiseurs dafaires luy présentoient leurs projets et elle les accueilloit fort bien, ce qui lui valoit beaucoup plus que le Bel Esprit. Elle disoit très prudament : "Les châteaux des fées disparessent quelques fois dun clein doeil, ramassons de lor qui par son poix est plus solide et qui reste lorsque tous les enchentemens senvolent dans les airs." En général, cependant, les maris des fées n'étoient pas merveilleusement bien traités : elles les relégoient dans les fonds des provinces sans les faire participer aux enchentements. Voilà, mon cher, ce qui se passoit dans lanciene féérie et ce qui se passe journelement sous mes yeux dans la féérie moderne. Tu scais que pour être digne de voir de si grands prodiges je me suis revêtu d'un habit de velours canelé ; on a ri en lisant ta lettre di voir que tu étois émerveillé de ma magnifisance...


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